L'édito de Sabrina Schwob - Le réel vu par le cinéma

Le 23 janvier 2019

L’actualité présentée dans la presse fait état d’une situation inquiétante, entre la fermeture des frontières aux migrants en Europe et aux Etats-Unis, la guerre civile au Nicaragua, l’hyperinflation en Argentine et surtout au Venezuela, le shutdown américain, les gilets jaunes en France, l’autorisation du port d’armes au Brésil, sans parler des guerres au Moyen-Orient…

Quelle position le cinéma est-il dès lors censé adopter vis-à-vis de l’actualité, qu’elle soit sociale, économique, politique ou même psychologique? Si l’on pense à Mai 68, les réalisateurs de la Nouvelle Vague, notamment, estimaient que le cinéma et ses actants ne pouvaient s’enfermer dans une tour d’ivoire et se devaient au contraire de participer à cette révolte. Godard, Truffaut, Saura, entre autres, se sont donc mobilisés afin d’interrompre le festival cannois cette année-là, en même temps que des cinétracts, conçus par Marker, Resnais et Godard, encore, dirigeaient leur attention sur ces manifestations et témoignaient de leurs idées politiques.

Le cinéma cependant, à la différence des reportages et des nouvelles télévisées - du moins lorsqu’il est destiné à une diffusion en salles - ne peut retranscrire immédiatement les phénomènes, de par le décalage entre le moment de l’élaboration d’un projet et sa forme finie.

Sans postuler que le cinéma devrait nécessairement par son contenu explicite évoquer les problèmes sociétaux actuels, il devrait toutefois, par une forme particulière, permettre au spectateur (voir Edito 804) d’aiguiser sa perception ou lui permettre d’appréhender sous un angle nouveau son quotidien, en créant une distance critique avec celui-ci, une manière nouvelle de l’envisager.

A l’aune de ces propos, certains films de ce numéro apparaissent peu convaincants. Le dernier Clint Eastwood, La Mule, malgré un sens du rythme indéniable et un ensemble bien ficelé, repose sur une représentation parfois douteuse de l’altérité et un scénario qui, au lieu de briser des schémas habituels de pensées, s’y complaît, tout comme Valeria Bruni Tedeschi, excellente en tant qu’actrice, qui semble effectuer une thérapie avec Les Estivants, plutôt que de proposer une véritable réflexion sur les problèmes qu’elle rencontre.

A contrario, des œuvres telles que Ága, par une sollicitation de l’imagination du spectateur, une retenue dans l’expression des émotions, invite à un retour réflexif sur nous-mêmes. Par d’autres moyens, le documentaire Les Dépossédés vise à rendre compte des conditions alarmantes de vie de paysans à travers le monde. Témoin et révélateur des préoccupations de son époque, le cinéma ne peut se penser en dehors de celle-ci.