Pauvres Créatures

Affiche Pauvres Créatures
Réalisé par Yórgos Lánthimos
Titre original POOR THINGS
Pays de production États-Unis, Royaume-Uni, Irlande
Année 2023
Durée
Genre Drame, Horreur, Science-fiction
Distributeur Walt Disney
Acteurs Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Emma Stone, Ramy Youssef
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 914

Critique

Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, Pauvres Créatures est autant une parabole existentialiste qu’un passionnant manifeste de la poétique décadente de Lánthimos.

La fleur artificielle est plus belle que la fleur naturelle. Cette phrase aurait pu être prononcée par Joris-Karl Huysmans, l’une des figures tutélaires du décadentisme littéraire. Dans son roman A rebours (1884), le héros Jean des Esseintes se confine dans sa résidence et se refuse à tout contact avec l’extérieur, faisant de l’enfermement et du retrait hors du monde un principe autant éthique qu’esthétique. Le Docteur Baxter (Willem Dafoe) dans Pauvres Créatures est en ce sens l’un de ses successeurs. Son habitat est un contre-monde, dans lequel il peut refaçonner le réel au gré de ses pulsions démiurgiques. Il est le serviteur de l’impossible - on pense évidemment au Docteur Frankenstein dans le roman de Mary Shelley - donnant naissance par sa science (son art?) à des créatures hybrides, par exemple un chien-poule. Mais son monstre le plus perturbant et fascinant est sans aucun doute Bella Baxter (Emma Stone). Il s’agit ni plus ni moins d’un cadavre de femme réanimé par la transplantation dans sa boîte crânienne d’un cerveau de nourrisson. Ici s’observe la dimension amorale du démiurge: l’«im»-possible qu’il occupe est également le lieu de «tous» les possibles, de l’éclatement des normes morales, sociales et anthropologiques. On retrouve l’idéal dandy incarné par des Esseintes: l’isolement est pour lui une possibilité de transgression.

Ces références littéraires, le film les assume pleinement: par exemple Oscar Wilde, autre figure importante du décadentisme, est explicitement mentionné. Ce n’est nullement surprenant de la part de Lánthimos, cinéaste éminemment littéraire et dont les deux dernières œuvres ont consisté en la transplantation de canons littéraires au cinéma: la tragédie classique dans Mise à mort du cerf sacré (2017), la satire de l’Angleterre victorienne à la William Makepeace Thackeray dans La Favorite (2018). Cela prend la forme dans Pauvres Créatures d’une mise en scène qui adopte les principes du décadentisme: il s’agit d’abord de refuser le réel cru et donc de le déformer, d’où l’utilisation récurrente du grand angle. Ensuite de le recréer en adoptant, notamment dans les séquences où Bella est en voyage, une colorimétrie extrêmement saturée, avec des tons facticement pétants. La couleur artificielle est plus belle que la couleur naturelle.

Ces choix de mises en scène ne sont nullement des afféteries prétentieuses - ce que les détracteurs de Lánthimos lui reprochent souvent -, mais sont au contraire absolument nodaux: ils traduisent un rapport antinaturaliste au monde. Ils se font également véhicules d’une philosophie radicalement existentialiste pour laquelle aucune identité n’est gravée dans le marbre et pour laquelle l’Homme peut être le démiurge de sa propre vie, enseignement que comprendra peu à peu Bella dans le film. C’est ici que réside sans doute la plus grande beauté de Pauvres Créatures: Lánthimos ne passe jamais pas quelconque discours didactique et laisse sa mise en scène parler pour lui.

Tobias Sarrasin

Appréciations

Nom Notes
Tobias Sarrasin 15
Marvin Ancian 16
Amandine Gachnang 16
Joas Maggetti 17
Sabrina Schwob 17
Pierig Leray 12