L'édito de Sabrina Schwob - Le réalisme et ses avatars

Le 19 septembre 2018

La notion de réalisme, bien que rarement définie de manière claire, occupe une place prépondérante dans la critique cinématographique. Si elle a souvent désigné la cristallisation à un moment donné d’une forme (le néoréalisme, le Cinema Novo, la Nouvelle Vague, le réalisme poétique, etc.), en fonction d’un contexte historique et d’un cinéma préexistant, qu’il s’agit généralement de déprécier, elle est majoritairement employée pour asseoir un jugement positif sur une œuvre, motivant la présence d’éléments qui apparaîtraient sinon comme injustifiés.

Par exemple, une représentation exacerbée de la violence psychologique ou physique est souvent légitimée en tant qu’elle serait le reflet d’une réalité tout aussi cruelle. Dans le cas contraire, elle paraîtrait gratuite ou complaisante et par conséquent susceptible d’être jugée négativement. Les films de Michael Haneke, qui décrivent cliniquement des comportements sadiques ou désespérés sans offrir une once d’espoir, s’inscrivent dans cette forme de réalisme, comme le confirment ses propos: «La violence est trop dangereuse pour être déréalisée. J’essaie de trouver des moyens pour faire sentir au spectateur la réalité de cette violence.»

Plusieurs des films appréhendés dans ce numéro associent la violence à un réalisme cru, brutal, sordide. Dans Dogman, elle fait loi et constitue le seul moyen de survie dans un milieu urbain à la périphérie de Naples. Elle est, dans Pororoca, le résultat d’une situation d’exclusion, de culpabilité et de solitude toujours croissante, tandis que dans la filmographie de Gaspar Noé, elle émerge d’une extériorisation de pulsions sexuelles, paranoïaques, incestueuses…

De ce regard profondément pessimiste, peut pourtant s’en distinguer un autre, dont témoigne notamment le film Une valse dans les allées, en proposant d’identifier, de créer, le merveilleux dans un quotidien qui en apparence n’en revêt aucun. Ce regard, le réalisateur lui-même, Thomas Stuber, le qualifie de «réalisme magique». A en croire qu’il est toujours possible, malgré le tragique et la violence incontestables que recèle l’existence, d’orienter l'objectif vers une représentation qui n’exclut pas le rêve, le fantasme, la transformation du quotidien, et qui n’en demeure pas moins réaliste.

Sabrina Schwob