Napoléon

Affiche Napoléon
Réalisé par Ridley Scott
Titre original Napoleon
Pays de production Royaume-Uni, États-Unis
Année 2023
Durée
Musique Martin Phipps
Genre Biopic
Distributeur Sony
Acteurs Joaquin Phoenix, Rupert Everett, Tahar Rahim, Vanessa Kirby
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 912

Critique

Napoléon s’ouvre sur le guillotinage de Marie-Antoinette, dont la tête brandie raccorde le «cut» avec le premier plan serré de Joaquin Phoenix au bicorne, et s’achève sur la tête de l’empereur basculant comme une pièce sur un échiquier. Entre ces deux plans, beaucoup d’autres têtes tomberont. Le film lui-même n’échappe pas à cette boucherie, ressemblant à une majestueuse tapisserie… éventrée à coups de sabre et de canon.

Si on reconnaît un bon film au fait qu’une seule page de Ciné-Feuilles ne suffit pas pour en faire une critique de fond, alors le Napoléon de Ridley Scott est bon, voire très bon. Malheureusement, l’étroitesse de cette page reflète surtout celle du film, face à un sujet aussi ample et ambitieux qu’est la trajectoire de Napoléon Bonaparte, tant du point de vue du destin de ce personnage hors norme, que de celui de son influence considérable sur l’histoire européenne. Tous les grands cinéastes qui se sont attaqués à Napoléon se sont heurtés de plein fouet à la démesure du personnage historique et des pages d’Histoire qu’il a écrites. Le Napoléon d’Abel Gance, réalisé il y a presque un siècle, reste à ce jour la démarche cinématographique la plus ambitieuse; la version complète de 5 h 30 n’a cependant jamais pu être exploitée commercialement, lors de sa sortie en 1927… alors que le film s’arrête en 1796, avant même le 18 Brumaire! Stanley Kubrick, lui, est l’auteur de l’un des plus célèbres films non réalisés de l’histoire du cinéma. Lui qui avait raconté l’odyssée spatiale de l’humanité, a manqué de moyens pour raconter l’odyssée terrestre d’un seul homme.

Alors, comment s’en sort Ridley Scott, bon réalisateur et qui, à 85 ans lors du tournage, n’a plus de temps à perdre? Il s’en sort très bien… et pourtant très mal. Commençons par le bon. La version exploitée en salles a beau être longue - 2 h 40, presque la moyenne désormais - elle est captivante, et épique. Vous serez heureux de n’avoir pas été autrichien à Austerlitz ni français à Waterloo. Son Napoléon - je parle ici autant du film que du personnage - doit beaucoup au Barry Lyndon de Kubrick et, peut-être plus surprenant, au Parrain de Coppola. Le film est éclairé à la bougie, et est aussi minutieux historiquement que le premier, et est filmé aussi cruellement et monté implacablement que le second. Le personnage incarné par Joaquin Phoenix est à la fois niais et empoté comme Barry Lyndon, ambitieux et sans pitié comme Michael Corleone. La musique de Martin Phipps cite à bon escient ces deux références constantes s’inspirant du fameux trio de Schubert pour les scènes de salon les plus kubrickiennes, et associant au personnage de Phoenix, des chants corses comme Rota nous mâtinait d’arrangements siciliens la geste des Corleone (seul élément qui évoque la corsitude de Napoléon!)

Il n’en reste pas moins que traiter un quart de siècle mouvementé (du siège de Toulon en 1793 à l’exil de Sainte-Hélène en 1815-21) en 2 h 40 exige des partis pris et des sacrifices inévitables. Les choix de Ridley Scott sont à cet égard assumés; ils n’en sont pas moins discutables. Le plus évident à l’écran - et réussi pour la bonne tenue du film - est son choix de se focaliser sur la relation entre Bonaparte et Joséphine de Beauharnais. C’est peut-être voir l’Histoire par le petit bout de la lorgnette) et, surtout, faire de la psychanalyse expéditive: en gros, Napoléon fut immense sur le trône et les champs de bataille parce qu’il était minable en amour. Mais ce fil rouge permet de relier les morceaux disparates de la tapisserie. Car c’est bien là le principal problème du film: les ellipses vertigineuses et frustrantes qui font passer le spectateur d’un événement historique à un autre comme on visiterait le musée Grévin - sans transition. Tout cela est tellement expéditif que cette version en salles ressemble à un immense «trailer» pour la version de plus de 4 h que nous promet Ridley Scott. Il y a là une singulière ironie à ce que la (potentielle) meilleure version de ce film évidemment calibré pour le (très) grand écran ne sera visible que sur Apple TV! Plus problématique est le traitement expéditif de la figure de Napoléon. Hiératique ou bilieux, il oscille entre la statue de cire et le clown. Évitant l’écueil de l’hagiographie comme celui de la diabolisation, Ridley Scott n’a pu se retenir de faire, avec autant de vulgarité que de panache, un doigt d’honneur; on se rappellera en somme qu’il est britannique.

Rodolphe Bacquet

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