Oppenheimer

Affiche Oppenheimer
Réalisé par Christopher Nolan
Titre original Oppenheimer
Pays de production USA, UK
Année 2023
Durée
Musique Ludwig Göransson
Genre Biopic, Drame
Distributeur Universal
Acteurs Matt Damon, Robert Downey Jr., Cillian Murphy, Emily Blunt
Age légal 12 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 904

Critique

Très attendu, le dernier film de Christopher Nolan (Memento, The Dark Knight, Interstellar…) expérimente une forme de narration tout à fait unique qui se déploie sur toute la durée du film.

Dès les premières scènes, nous sommes mis dans un cocon d’images saccadées mêlant visions intérieures du personnage principal J. Robert Oppenheimer (Cillian Murphy) par l’utilisation d’inserts plus ou moins abstraits, très esthétiques, et un développement du récit en deux points de vue: l’un est celui du physicien, l’autre en noir et blanc, celui de l’amiral Lewis Strauss (Robert Downey Jr.) qui est en conflit avec le physicien suite à une humiliation publique. Les visuels sont accompagnés d’une bande originale franchement bonne et qui mériterait qu’on s’y attarde à elle seule. Seulement voilà, dans ce cocon, nous y sommes presque enfermés. Cette expérience nous fait soit suffoquer de son martèlement sensoriel et elle en a tout à fait conscience, le récit et les informations déployées sont répétés trop de fois et explicités sans cesse, comme pour s’assurer de trouver un équilibre entre l’engourdissement imposé par la surstimulation et la transmission d’informations strictes au récit. Ce film nous fait parfois nous sentir assez bêtes.

Construit autour de l’antagonisme entre le physicien et l’amiral, le film semble nous raconter le déroulement du projet Manhattan entre 1939 et 1946, l’audition de sécurité d’Oppenheimer en 1954 qui l’accuse d’être un espion soviétique et l’audience de confirmation par le Sénat de l’amiral Strauss en 1959 où ce dernier est questionné à propos de ses accusations sur le physicien. Si l’interliaison de ces lignes temporelles constitue effectivement la base du récit, l’œuvre de Christopher Nolan ne met pas pour autant la spectatrice ou le spectateur dans les conditions d’une spectatrice ou d’un spectateur face à un film historique. En effet, ce qui est mis en avant est la construction d’une ambiance du fait d’expérimentations audiovisuelles. Sur la transmission d’informations, nous notions justement qu’elles sont sans cesse répétées. Un personnage dit quelque chose, la musique le souligne, voir l’efface tant le mixage met les deux pistes sonores au même niveau, et l’image le répète. Parfois encore, le tout est accentué par l’ajout d’insert. Les informations importantes vont même être rappelées à différents moments du récit, comme si nous n’étions pas là au début. Nous ne sommes donc pas obligés de suivre, cela n’importe visiblement pas. Plus obligés à nous concentrer, nous nous plongeons dans un certain état de somnolence. Nous sommes bercés.

Cette construction enveloppante avec un son pesant et des images fortes, cet état de lenteur créé par ces surstimulations nous forcent à remettre en question la définition de cinéma. Moins basé sur la narration et plus sur «l’attraction», pour reprendre les termes du théoricien Tom Gunning, le film de Nolan nous fait penser également à la position de larve dans laquelle nous mettent les applications de réseaux sociaux sur nos smartphones au moyen de leur défilement (scrolling) infini. L’objet est intéressant, mais la salle obscure nous semblait être justement un lieu d’échappatoire à nos pulsions tueuses de temps. Nous pensons que pour qu’un film brille, nous attendons de lui qu’il nous fasse nous sentir papillon plus que co(n)con.


Ani Gabrielyan




UN AUTRE AVIS


NOTE 15


Inégal mais fascinant, ce biopic offre une démonstration du cinéma de Christopher Nolan au profit d’un sujet bien plus universel que la simple mise en place du projet Manhattan.

Le biopic, défini comme le film biographique relatant la vie de personnages réels hors du commun, est un genre qui peut être particulièrement irritant, surtout lorsqu’il est traité par le cinéma hollywoodien. Le sujet est souvent artificiellement gonflé et dramatisé pour plus de sensations, les comédiens en font des tonnes pour paraître concernés par la «réalité» de leur sujet historique et le public raffole de ces «biographies pour les nuls» qui souvent ne parviennent pas à traiter de la complexité de leur sujet avec un format de deux heures. Ce qui est fort dans Oppenheimer, c’est que ce biopic contient à peu près tous ces tics, mais que ces derniers sont transcendés par le talent et la palette du réalisateur Christopher Nolan. Ce dernier est connu pour son amour des récits complexes, sa fascination pour la représentation du temps et donc sa faculté à structurer ses films dans différentes couches de montage.

Oppenheimer est donc un formidable compte à rebours, avec en climax l’explosion de Trinity, le premier essai d’une bombe atomique dans le désert du Nouveau-Mexique. Jusque-là, il raconte brillamment comment J. Robert Oppenheimer, ainsi que de nombreux autres protagonistes, ont été amenés à concevoir le projet Manhattan. En jouant avec des montages alternatifs, en s’appuyant sur une distribution aussi prestigieuse qu’excellente, Christopher Nolan fusionne plusieurs genres cinématographiques (drame, film de casse, espionnage, thriller, western) dans un rythme dantesque pour rendre compte de cet événement significatif dans l’histoire de l’humanité. Son dispositif est particulièrement efficace pour contextualiser l’aventure humaine et scientifique dans ses implications politiques, de manière limpide et cohérente. Lorsque J. Robert Oppenheimer se fait littéralement bombarder par les acclamations à la suite du succès du bombardement d’Hiroshima, tout est dit. Dommage alors de s’attarder sur un troisième acte long, démonstratif et répétitif, construit comme un film de procès qui suggère que les aléas politiques sont plus dangereux et incontrôlables qu’une réaction en chaîne nucléaire. Heureusement, le film se termine sur un épilogue à la fois sobre et sidérant, élargissant la portée du propos d’Oppenheimer bien au-delà de son récit.


Blaise Petitpierre




UN AUTRE AVIS


NOTE 6


Un film de trois heures où vous n’apprendrez rien ni sur Oppenheimer, ni sur la bombe atomique et encore moins sur l’Amérique. Voilà le parti pris du dernier projet ampoulé en date de Christopher Nolan, qui a le mérite de soulever des questions de géopolitiques.

Entre 2013 et 2017, Vine a été une plateforme où des utilisateurs pouvaient mettre des vidéos de 6 secondes. Une version Twitter de YouTube, si vous voulez. Malgré sa courte existence, le format ultra-condensé et au montage souvent saccadé a eu une grande influence sur le contenu des créateurs de vidéos sur internet depuis. Preuve en est la popularité ubiquiste de TikTok, plateforme d’origine chinoise qui s’est largement inspirée de Vine, mais dans un format plus long (de 3 secondes à 10 minutes). Le montage TikTok est même devenu une technique à part entière: comment captiver l’attention toujours plus maigre des internautes en l’espace de quelques secondes, et leur donner envie de regarder davantage? En quelques mots: le gros plan, les plans extrêmement courts et du Mickeymousing (souligner chaque événement par un effet sonore) omniprésent.

Ce format épileptique est tolérable sur 1 minute voire 2. Maintenant, imaginez-le sur 3 heures. C’est ce que s’est permis Nolan avec cet anti-biopic sur l’homme qui a inventé la bombe atomique. Le film est scindé en deux parties distinctes - des premières recherches nucléaires jusqu’au fameux test à Los Alamos, puis de la guerre froide jusqu’au procès d’Oppenheimer - dont chacune est accompagnée d’un arrangement de cordes stridentes qui semblent constamment monter en tension, à la manière d’une gamme de Shepard. Une expérience sensorielle agressive et qui rend les nombreuses scènes austères d’interrogatoires inutilement opaques.

Alors certes, l’on pourrait endosser le rôle de l’académicien pédant qui dirait que Nolan organise sa mise en scène en atomes, en référence à cet atome qui a fasciné les scientifiques - et les militaires - du 20e siècle. Mais ce serait là vouloir défendre ce qui est sans doute une lubie inconsciente de la part du réalisateur, tout en voulant soi-même faire le malin. Car en «atomisant» ainsi son propos, Nolan rate l’occasion de creuser plus profondément l’histoire commune de la science et de la politique dans l’Amérique de Roosevelt. Il préfère ériger en grand et incompris héros étasunien la figure problématique et anecdotique de J. Robert Oppenheimer, ce qui sonne tout à fait en accord avec sa fascination morbide pour la mythologie USA qu’il nous sert depuis Batman Begins.


Anthony Bekirov

Ani Gabrielyan

Appréciations

Nom Notes
Ani Gabrielyan 10
Noémie Baume 12
Anthony Bekirov 6
Blaise Petitpierre 15
Hugo Lippens 7
Noé Maggetti 7
Marvin Ancian 14
Noémie Baume 12