L'Evénement

Adaptation du roman autobiographique éponyme d’Annie Ernaux et récompensé par le Lion d’or à Venise, le film narre le parcours de la combattante qu’une jeune femme doit mener pour disposer de son corps. Un film aussi poignant qu’important.

France, 1963. Anne, 23 ans, est une étudiante en lettres brillante et pleine d’ambition. Avec ses amies, mâchant du chewing-gum sur les bancs d'un campus universitaire, elle refait le monde. Mais le regard d’Anne est fuyant, son sourire rare. Et pour cause, alertée par un retard de règles, elle vient d’apprendre qu’elle est atteinte par «ce genre de maladie qui ne frappe que les femmes et les transforme en femmes au foyer», comme elle l’annonce à son professeur quand il la questionne sur ses absences.

La citation est sans équivoque; devenir une jeune maman est synonyme d’abandon de ses études. Issue d’une famille prolétaire, Anne a pourtant un tout autre projet en tête: elle veut être enseignante. L’IVG étant illégale et punie par la loi, l’étudiante est confrontée à la législation, mais aussi à l’opinion publique. En effet, ses camarades, conditionnées par la société, dénoncent le concept même de l’avortement - terme qui n’est d’ailleurs jamais employé. Les médecins qu’elle consulte sont au mieux compréhensifs mais apathiques, au pire farouchement opposés à l’idée de ne pas mener à terme cette grossesse, au point de prescrire à Anne une injection pour renforcer l’embryon.

Livrée à elle-même, la jeune fille sombre. Ses notes sont en chute libre, ses amies l’abandonnent. Alors que les semaines défilent, l’horizon d’Anne rétrécit. C’est alors par ses propres moyens qu’elle tente de mettre fin à sa grossesse, avant de faire appel à une «faiseuse d’anges» (personne pratiquant illégalement l’IVG). Pour financer cette intervention coûteuse, Anne décide de vendre ses livres, comme un symbole de sa détermination à aller jusqu’au bout, malgré les obstacles et les échecs. Au péril de sa vie.

Le point fort de L’Evénement est son côté immersif. Grâce à son format 1.37, ses séquences avares en coupes et une caméra à l’épaule au plus près du corps d’Anne (Audrey Diwan déclare avoir demandé à son chef opérateur d’apprendre à marcher au rythme de son actrice afin de trouver un rythme commun et de faire oublier la caméra), le spectateur épouse le point de vue de la jeune fille. Citée par la réalisatrice, la référence au long métrage Le Fils de Saul de László Nemes est indéniable, tant la sensation d’enfermement grandissant que transmet la mise en scène est palpable.

Parfois brutal (certaines séquences, légitimement difficiles à supporter, rappellent 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’or au Festival de Cannes en 2007), L’Evénement est un film fort et fondamental - rappelons que certains pays d’Europe reviennent sur le droit à l’avortement. Un témoignage plongeant dans une parenthèse infernale de la vie d’une étudiante qui décide que son esprit doit l’emporter sur son corps, quitte à faire souffrir celui-ci. Les ultimes mots prononcés par son professeur, «prenez vos stylos», ainsi que sa nouvelle vocation d’écrivaine, transmettent enfin un message clair: Anne écrira elle-même son avenir.