Réalisé par | Ali Abbasi |
Titre original | Gräns |
Pays de production | Suède, Danemark |
Année | 2018 |
Durée | |
Musique | Christoffer Berg, Martin Dirkov |
Genre | Drame, Fantastique |
Distributeur | Outside the Box |
Acteurs | Ann Petren, Eva Melander, Eero Milonoff, Jörgen Thorsson, Sten Ljunggren, Kjell Wilhelmsen |
Age légal | 16 ans |
Age suggéré | 16 ans |
N° cinéfeuilles | 811 |
Prix Un Certain Regard à Cannes
Ce film avait tout pour être répugnant, comme le souligna avec pertinence unjournaliste : héroïne moche aux ongles sales, vers de terre cueillis surl’arbre et dégustés à pleines dents, zeste de pédophilie… Cependant, tout seretourne progressivement au gré d’un scénario subtil qui en appelle à latolérance. Tina, douanière en Suède, a du flair : elle sent lamalhonnêteté, la peur, la dissimulation, etc. Elle débusque ainsi bien desauteurs de trafics divers et de crimes, jusqu’au jour où elle croise la routed’un personnage curieux qui semble posséder le même don. Quelle histoires’offre à eux ? Etrangeté et altérité radicale sont au cœur de cettefiction. Elle soulève par le détour du fantastique bien des questions surl’accueil et la réception d’autrui, sur les limites qui définissent les genres,sur les franchissements et les dépassements de frontières, de quelque ordrequ’elles soient. Au décor glauque des couloirs frontaliers ou de la demeure de Tina s’oppose la forêt qui enchante et régénère. Au mal et à la vengeance quisemblent inexorables répondent l’abord et l’ouverture à ce(lui) qui estdifférent et irréductible à soi. Ce conte fantastique est fort pertinent en unepériode où l’Europe fait face au défi migratoire, mais également en un temps où les repères s’estompent et livrent bien des êtres au désarroi.
Serge Molla
Gräns confronte le spectateur à un univers rebutant, dans lequel la beauté, d’abord absente, surgit lorsque l’on ne l’attendait plus.
Des intérieurs obscurs éclairés au néon, des visages difformes, renfrognés, proches de l’animalité… Ces premières impressions offertes pas Gräns, suscitant dégoût et incompréhension, traversent tout le film et constituent la toile de fond sur laquelle se dessine l’intrigue. Tina (Eva Melander, méconnaissable sous la couche de maquillage destinée à l’enlaidir), une femme peu avenante, grognante et avec un flair hors norme qui lui permet de détecter la honte, la culpabilité ou la colère, excelle dans sa fonction de douanière, dans un aéroport de Suède. Son don extraordinaire la conduira sur la piste d’un trafic pédophilique de nouveau-nés. A ce premier fil narratif vient s’ajouter un second qui porte sur sa vie privée. Celle-ci se résume essentiellement à sa relation avec Roland (caractérisée par une indifférence réciproque mais quotidienne), avant qu’elle ne rencontre Vore, un homme qui n’inspire que le dégoût, autant par son aspect physique que par sa consommation de larves ou asticots. Leur histoire d’amour naissante conduira les deux fils narratifs à s’entremêler de manière inattendue…
Primé au Festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard, ce film fantastique laisse dans un premier temps le spectateur dans une incompréhension complète: pourquoi projeter le spectateur dans un univers qui l’exclut par son abjection outrancière? Même lorsque Vore et Tina mènent sporadiquement la vie d’Adam et Eve dans leur jardin d’Eden sauvage, le réalisateur ne cherche pas à exprimer la joie qui les habite. Le spectateur demeure au contraire indéniablement étranger à ce bonheur, que des couleurs fades, des corps volontairement enlaidis et des plans d’ensemble maintiennent à distance.
Dans un second temps, par l’intervention du fantastique, la métaphore sociale se dessine, la question de la bestialité et son opposition binaire à l’humanité s’esquisse pour mieux être ébranlée. De la même manière que dans La Forme de l'eau (Guillermo del Toro, 2018), les apparences sont (en partie) trompeuses, et l’inhumanité se cache aussi bien derrière l’altérité complète que parmi les hommes. Finalement, malgré les différences, l’amour apparaît comme la solution, permettant à l’individu de se confronter à sa propre (in)humanité et de se soucier de son prochain. Malgré l’intérêt qu’il est possible de déterrer sous des couches d’immondices, la question de la limite se pose pour le spectateur lui-même quant à sa résistance face à cette noirceur lumineuse.
Sabrina Schwob
Nom | Notes |
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Sabrina Schwob | 15 |
Serge Molla | 16 |