Son frère

Affiche Son frère
Réalisé par Patrice Chéreau
Pays de production France
Année 2002
Durée
Genre Drame
Acteurs Eric Caravaca, Bruno Todeschini, Nathalie Boutefeu, Catherine Ferran, Maurice Garrel
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 466
Bande annonce (Allociné)

Critique

"On vit sans le réaliser pleinement et soudain, le corps ne suit plus. La relation avec lui, avec soi, avec les autres en est bouleversée. Chéreau explore ce passage avec une acuité saisissante.

Le livre de Philippe Besson est à l'origine de ce long métrage magnifique, dans lequel Patrice Chéreau, une fois de plus, parle mieux que personne des événements intimes et des sentiments qu'ils génèrent. Luc (Eric Caravaca) n'a plus de relation avec son frère Thomas (Bruno Todeschini) depuis une dizaine d'années lorsque celui-ci surgit à l'improviste et s'impose. Il est effaré, perdu. Le syndrome contre lequel il s'est battu voici deux ans, une maladie du sang qui provoque des hémorragies graves, vient de le reprendre. Il n'y échappera pas. Avant de regagner l'hôpital, Luc est son dernier refuge.

La maladie réunit les deux frères, mais le retour à des relations normales ne va pas de soi. Les années de silence et les raisons de ce silence pèsent sur leur nouvelle vie. Car ils vont changer de vie, vivre ensemble, l'un soignant l'autre. Les petits incidents quotidiens feront souvent remonter le passé à la surface. Mais l'affection trouvera sa voix. ""C'est une histoire qui renaît et qui élimine d'un coup tout le reste"", dit Chéreau.

Pour les premiers plans du film, la caméra arrive depuis l'arrière et semble saisir malgré eux les deux frères qui écoutent à peine un vieil homme parler de naufrage. Les trois sont assis sur un banc, face à la mer de Bretagne. Les demis-profils révélés par l'image sont déjà marqués par la lucidité, la résignation, la tendresse. Luc et Thomas sont dans leur monde, celui qu'on ne connaît pas tant qu'on n'a pas passé par là. Le vieil homme est serein, pour lui la vie est sans histoire, il raconte celle des autres, celle des marins qui ont perdu la vie en mer.

Chéreau filme deux périodes qui avancent en parallèle et s'expliquent mutuellement. Luc et Thomas se sont installés en Bretagne pour l'été, c'est le présent, la vie avec la maladie, l'acceptation de la mort. L'autre période se passe quelques mois plus tôt, à la fin de l'hiver, après la rechute, lorsque Thomas est hospitalisé. Il n'y a pas de voix off, c'est par Luc surtout que le spectateur comprend l'histoire, c'est par lui qu'il entre à l'hôpital et observe ce qui s'y passe. C'est par lui qu'il fait connaissance avec Thomas, comprend peu à peu sa révolte, puis sa renonciation à la vie.

Dans un film pareil, la présence du corps est essentielle. Il se manifeste inutilement du côté de la vie, plages de naturistes, relation homosexuelle de Luc. Sans doute a-t-il été voulu pour le contraste, mais son étalage n'apporte rien à l'œuvre. Le corps à l'hôpital, c'est autre chose. La crudité des images ne cache rien de cette déperdition de soi qui caractérise les grands malades: corps objet, corps souffrance, corps qui emprisonne l'esprit et le trahit. Plans cruels que ceux du rasage pour préparer l'intervention chirurgicale, où le corps de Thomas s'offre couché, de face, dans la surprenante perspective du Christ de Mantegna. ""Le film était plus dialogué dans les premières versions, mais peu à peu, Patrice Chéreau s'est concentré sur les corps, raconte Eric Caravaca. On peut tout expliquer. Mais comprendre et ressentir passe nécessairement par le corps.""

La force de Chéreau, dans SON FRERE comme dans son œuvre précédente, INTIMITE, c'est d'utiliser ces corps dans leurs détails les plus triviaux, et d'en faire l'expression de sentiments d'une profondeur, d'une gravité, d'une authenticité rares. Au moment où le corps va trahir, le réalisateur le reprend, le remodèle et le ramène à sa seule raison d'être: en symbiose avec l'esprit."

Geneviève Praplan