L'édito de Adèle Morerod - La garantie du réel

Le 13 novembre 2019

L’étiquette «basé sur des faits réels» s’applique allègrement sur nombre de films et de genres sans grand rapport les uns avec les autres. Et donne aussi matière à commentaire (voir l'édito du n. 807). Ne serait-ce qu’entre ces pages, on trouve Les Misérables, le film choc de Ladj Ly sur les banlieues françaises, et Midway, la dernière superproduction de Roland Emmerich qui s’en réclament. Un principe d’objectivité est garanti par cet appel aux atours du «réel» mais comment ce dernier est-il employé par les réalisateurs?

Il y a peut-être d’abord une question de sensibilité, la conscience qu’un point de vue se construit toujours par rapport à une altérité. Dans Les Misérables, Ladj Ly prend le temps de faire exister les individus, nuançant ainsi l’opposition immédiate entre habitants des banlieues et policiers, là où Midway ne fait qu’asséner une énième version du soldat fort… et destructeur. Cette univocité est un biais auquel se refuse J’accuse, preuve s’il en est que le genre du film historique n’est pas condamné à hurler des modèles figés par un passé qui mérite pourtant d’être réexploré. Pas pour y apposer nos conceptions actuelles mais pour y chercher des éléments permettant de les éclairer: l’affaire Dreyfus, racontée par la caméra de Roman Polanski, en est le témoignage éclatant.

Il arrive aussi que l’étiquette soit dissimulée au revers du film, affirmant haut et fort une réalité assumée comme regard personnel. C’est le très beau Mafak, où Bassam Jarbawi, derrière le retour à la vie «normale» d’un ancien détenu, raconte un peu de sa propre histoire, lui qui a grandi à Ramallah et connaît bien cette Palestine embourbée dans son passé. Tout aussi intimiste, La Femme de mon frère touche les rives d’un autre genre : la comédie et ses éclats de rire. Ceux de sa réalisatrice, Monia Chokri, rythment l’entretien qui conclut ce numéro, un rappel bienvenu qu’il n’y a pas toujours besoin d’être sombre pour parler du monde.