Snowden

Pourquoi un homme ose-t-il aller jusqu’au bout et tout risquer, sa vie privée et sa liberté, pour  dénoncer que, sans aucun cadre légal,  « Big Brother is watching  you »? L’affaire Snowden n’a pas fini de faire parler d’elle et c’est peut-être tant mieux pour la santé de la démocratie.

En 2013, les révélations d’Edgard Snowden font très rapidement le tour du monde, tant la nouvelle est incroyable : un fonctionnaire du gouvernement états-unien tente de déclencher une prise de conscience à propos de la surveillance excessive et illégale opérée par l’Agence de sécurité nationale (NSA). Il a collecté des preuves  de ses allégations et veut tout divulguer : deux journalistes du Gardian le rencontrent secrètement,  analysent les documents et mettent en place leur publication. Dès ce moment-là, son existence bascule. Il arrive tout juste à quitter Hong Kong pour Moscou, avec le projet de rejoindre l’Amérique latine, mais restera coincé en Russie, son passeport lui ayant été retiré. L’informaticien, devenu persona non grata, est accusé d’espionnage par son propre pays et menacé de nombreuses années de prison. Son crime? – Avoir livré à la presse des informations secrètes jugées sensibles.

Comment, et surtout pourquoi, l’adulte, qui rêvait d’appartenir aux forces spéciales – mais qui ne l’a pu suite à des soucis de santé et qui a travaillé des années pour la CIA avant la NSA –, décide-t-il un beau jour de rompre sa promesse de confidentialité? C’est pour éclairer de l’intérieur les raisons qui ont poussé cet ingénieur talentueux à devenir un lanceur d’alerte avec tous les risques que cela suppose, qu’Oliver Stone a voulu filmé le basculement d’un destin. Le réalisateur, grand scrutateur des valeurs et de l’identité de son pays (Né un 4 juillet, JFK, Nixon, Wall Street), essaie de cerner la naissance du dilemme éthique, c’est-à-dire de saisir le moment où les idéaux que veut incarner un jeune adulte en s’engageant pour (la défense de) son pays s’opposent radicalement à ses propres convictions et à sa compréhension de la démocratie. Stone veut comprendre pourquoi, là où la majorité des gens renoncerait à ses valeurs, Snowden ose prendre une position qui aura, il en est tout à fait conscient, de funestes conséquences. 

Le scénario final de Snowden s’est construit à partir de deux sources principales: un récit signé Anatoli Kucherena, l’avocat russe de Snowden, et le livre de Luke Harding intitulé Les fiches Snowden. Tout cela fournit la trame narrative dans laquelle la compagne de Snowden, la flamboyante Lindsay (Shailene Woodley), contraste heureusement avec l’ingénieur très introverti. En effet, Joseph Gordon-Levitt donne corps à un homme qui laisse transparaître fort peu d’émotions, même lorsqu’il en vient à affronter les questions et les doutes qui le rongent, ce poids qu’il ne peut confier à personne. Et s’il n’est pas sûr que toute la lumière soit faite sur son émergence morale, le film n’apporte hélas pas de réponse claire sur le rôle exact que joua sur l’évolution intérieure de Snowden la relation conjugale aussi forte que tendue.

Dès lors l’ensemble du film apparaît comme froid, presque distant. Ce sont ainsi les questions soulevées sur la conscience collective qui relancent son intérêt aujourd’hui où la surveillance des citoyens augmente comme pour mieux assurer leur sécurité. Hélas, nombreux sont ceux qui ne s’estiment pas concernés, sous prétexte qu’ils n’ont rien à cacher. L’omni-surveillance incontrôlée n’ouvre-t-elle pourtant pas la porte à toutes les dérives qui muent la démocratie en peau de chagrin ? La piqûre de rappel  que procure ce film était donc nécessaire, tant Orwell avait tristement raison.