Il buco

Affiche Il buco
Réalisé par Michelangelo Frammartino
Titre original Il buco
Pays de production Italie, France, Allemagne
Année 2021
Durée
Genre Drame
Distributeur Xenix
Acteurs Paolo Cossi, Jacopo Elia, Denise Trombin, Mila Costi, Angelo Spadaro, Claudia Candusso
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 877

Critique

Onze ans après Les Quatre saisons, le troisième film du cinéaste italien Michelangelo Frammartino, Il buco - en français «Le trou» - nous plonge dans les profondeurs des grottes de Calabre en reconstituant la première expédition spéléologique de 1961 qui s’y est aventurée. Mais ne nous y trompons pas: le film n’est pas seulement un documentaire, il est surtout une grande réflexion sur les images.

Il pourrait y avoir une intrigue. Celle d’une expédition de spéléologues pionniers en Italie, qui après avoir exploré toutes les grottes du Nord, prirent la décision en août 1961 de bifurquer vers le Sud, une région dont les abîmes étaient encore vierges de toute trace humaine. Cette expédition, réelle car elle a bien eu lieu et Frammartino se donne la peine dans le générique d’en nommer tous les membres, ne sera au fond pas l’objet du film. À l’intrigue documentaire, Frammartino préfère substituer celle fictive d’un berger - centenaire ou davantage - dont les bestiaux paissent précisément autour de ce «buco», ce trou, l’objet de toute l’attention des spéléologues. Ce n’est pas sans inquiétude qu’il regarde du haut de sa colline ces corps étrangers pénétrer dans les intestins de la terre. Et puis, à mesure que les membres de l’expédition pénètrent toujours plus profondément, il tombe soudainement, irrémédiablement, malade…

Frammartino revient enfin sur nos écrans pour nous livrer comme à son habitude un portrait de l’Italie profonde, où se mêlent encore les croyances anciennes d’un monde païen et la foi chrétienne. Alors que son film précédent, Les Quatre saisons, montrait tout l’intérêt du cinéaste pour la métamorphose perpétuelle des êtres au sein de la Nature, Il buco poursuit cette réflexion en l’élargissant à la question du monde artificiel des hommes. Dans le petit village de Calabre où se déroule le film, les habitants se réunissent chaque soir pour regarder les nouvelles sur une télévision cathodique, unique artefact provenant de «l’extérieur», unique objet rattachant la vie anachronique des villageois dans le temps de l’histoire. Dans cette lucarne, on y voit des reporters italiens à New York s’émerveiller de la construction de gratte-ciel toujours plus hauts. Ce seront là les seuls dialogues du film.

Le ton est donné. Il sera question de la soif de découverte de l’homme, de son désir sans fond de science. Les spéléologues font la curiosité des enfants de la campagne, comme s’ils venaient d’un autre univers, d’un lendemain impossiblement lointain. On ne comprend pas très bien ce qu’ils sont venus faire, mais on les laisse. Eux-mêmes le savent-ils? Armés d’équipements dernier cri, les explorateurs descendent avec extrême prudence dans les ténèbres de la grotte. Pour en estimer la profondeur, ils allument des pages de tabloïdes et les envoient tourbillonner à perte de vue. C’est à ce moment précis que le cinéma documentaire se sublime dans une réflexion sur l’image.

Parmi les parois utérines de l’antre brûlent des pages où sont imprimés les visages de Kennedy, Marilyn Monroe, Fidel Castro. L’Histoire, avec majuscule, a fait irruption dans ce lieu hors du temps. Un équilibre a été brisé et l’ordre des choses s’en retrouve changé. Cette grotte agit comme un creuset d’alchimiste où les réalités, les temporalités se transmuent: les spéléologues s’y meuvent comme Ulysse, un mortel, s’était aventuré dans les Enfers pour défier l’éternité elle-même. Et à l’image du héros antique, les jeunes explorateurs ont instauré dans ces lieux sacrés le temps des Hommes et avec lui l’ordre des images. L’image c’est en effet le miroir d’un Ailleurs, d’un Autre, l’instauration d’une différence, aussi minime soit-elle. Or dans le monde des divinités italiennes et des bouviers millénaires, il n’est question que d’immuable constance.

L’image c’est Nous - voilà le message de Frammartino - avec nos limites et nos failles. Et si la soif de savoir est sans fond, la grotte elle en a un: à 683 mètres sous la mer. À 683 mètres se trouve l’écueil des rêves de spéléologues qui avaient cru en leur toute-puissance. Mais leur échec est précieux, car il opère le basculement entre le mythe et le présent, entre les dieux et les hommes, entre l’icône et l’image. Et quelque part dans la brume encore, le berger siffle sa chanson.

Anthony Bekirov

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 18