Critique
"Dirons-nous que Woody Allen (65 ans dynamiques) est le plus européen des cinéastes états-uniens?
Toujours est-il qu'il nous offre ici une sympathique comédie peu hollywoodienne, aussi bavarde qu'un film français, avec des répliques parfois dignes d'Audouard, sans se croire obligé d'atteindre ou de dépasser une durée de deux heures.
Scénariste, réalisateur et interprète comme souvent, Woody Allen retrouve la verve de ses premiers opus ainsi qu'un certain burlesque préféré à un intellectualisme un peu torturé. Comme d'habitude, il choisit ses musiques parmi les grands classiques du jazz et de la variété (moins de droits d'auteur à payer?...) Il sait choisir des acteurs qui collent parfaitement aux personnages et nous fait réfléchir avec le sourire sur les transformations que l'argent peut faire subir aux gens.
Ray Winkler (Woody Allen) vient de tirer deux ans de prison, où ses co-détenus le surnommaient ""Le Cerveau"" par dérision. Il vivote de petits boulots et tente de persuader sa manucure de femme, Frenchy, ex-Miss Seins nus (Tracey Ullman), d'investir ses 6'000 dollars d'économies dans la location d'une échoppe située non loin d'une banque: avec deux copains cotisant de même, sous le couvert d'une pizzeria, il creusera un tunnel jusqu'à la salle des coffres, et à eux le pactole!
Comme Frenchy ne sait pas confectionner de pizzas, elle se lance dans la fabrication de biscuits, à l'enseigne de Sunset Cookies, et sa production fait un tabac. Pendant que les trois comparses jouent du marteau-piqueur en sous-sol et multiplient les coups foireux, crevant une canalisation d'eau et s'égarant par la faute d'un plan tenu à l'envers, elle n'arrive plus à faire face à la demande et doit rationner sa clientèle qui ne cesse pas de s'accroître. Elle finit par engager une cousine légèrement demeurée, May (Elaine May), qui multiplie les gaffes.
Un an plus tard, le casse n'est toujours pas fait, mais le succès de Sunset Cookies devient phénoménal. Par le truchement d'un reportage télévisé, joli pastiche de l'étrange lucarne, le spectateur découvre la fabrication industrielle de produits diversifiés que le public s'arrache. Chacun des acolytes a sa place dans l'organigramme, mais c'est plutôt pour la galerie, car ils consacrent l'essentiel de leur temps à leurs activités favorites: les uns à des parties de poker aux gros enjeux, Frenchy à la décoration d'un somptueux appartement (le chef-décorateur a dû bien s'amuser à collectionner les objets les plus kitsch et les plus clinquants).
Visiblement, le couple de nouveaux riches détonne par son inculture - mais la compagnie de ces ploucs est recherchée par les gens de la bonne société, qui les trouvent exotiques et qui voient en eux de bonnes vaches à lait pour du mécénat. Frenchy va rencontrer celui qui deviendra son Pygmalion - pas tout à fait désintéressé -, David (Hugh Grant tel qu'en lui-même), raffiné marchand d'art très british. C'est ainsi que, en vue d'enrichir son vocabulaire, elle a l'idée d'apprendre le dictionnaire par coeur et, logiquement, commence par truffer sa conversation de mots commençant par A...
Les ennuis vont commencer, Ray refera des boulettes, le rêve volera-t-il en miettes? Comme il se doit, le coup de théâtre final sera heureux.
Tout ce qu'il faut pour passer une heure et demie sans se prendre la tête!"
Daniel Grivel