Ivre de femmes et de peinture

Affiche Ivre de femmes et de peinture
Réalisé par Im Kwon-Taek
Pays de production Corée du Sud
Année 2002
Durée
Musique Young-dong Kim
Genre Drame, Historique, Biopic
Distributeur Pathé Distribution
Acteurs Min-sik Choi, Sung-Ki Ahn, You Ho-Jeong, Kim Yejin, Ye-jin Son
Age légal 12 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 438
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Im Kwon-Taek est considéré comme le maître incontesté du cinéma sud-coréen (on connaît de lui LE CHANT DE LA FIDELE CHUNGYANG) et son dernier film est une superproduction à la démesure d'un cinéaste de 66 ans qui a vu plusieurs de ses films primés dans les festivals internationaux. IVRE DE FEMMES ET DE PEINTURE s'inspire de la vie du peintre ""Ohwon"" Jang Seung Up, né en 1843 et disparu en 1897, et s'appuie sur les rares éléments connus et établis de son existence.

Les destinées de cinq femmes vont croiser celles du peintre, y mêlant joies et tristesses, espoir et désespoir, pendant les troubles sociaux et religieux qui ont secoué l'histoire de la Corée du XIXe siècle. Le personnage d'""Ohwon"" - un roturier souvent appelé à la cour des rois et dans les ateliers des plus grands peintres - reste le centre de gravité du film. Le portrait est celui d'un homme haut en couleur, aimant les femmes et la bouteille, celui d'un artiste prodigieusement vivant et, dans l'expression de son métier, d'un peintre à la technique extraordinairement raffinée.

Le film est d'abord très beau: tout le travail de création, toute la magie de la peinture d'Ohwon semblent retranscrits par les couleurs, la dynamique et la perfection des cadrages choisis par le cinéaste. L'oeuvre peut toutefois échapper, en ce qui concerne l'histoire des événements et une certaine symbolique picturale, à la sensibilité occidentale, mais le plaisir des yeux l'emporte tout au long d'un film qui s'impose tout simplement par la force de ses images.



Antoine Rochat





Prix de la mise en scène à Cannes 2002, ce film magnifique est une double démonstration, par la réalisation et par le caractère du personnage central, de ce qui fait un chef-d'oeuvre.

Le Coréen Im Kwon-Taek compte à son actif une centaine de films en quarante ans de travail. Voici sa dernière œuvre consacrée à Ohwon Jang Seung-Ub, né en Corée en 1843, disparu en 1897. On possède très peu d'éléments sur ce peintre qui vécut à une période troublée de l'histoire coréenne. Le cinéaste prend en compte ses œuvres ainsi que les rares faits établis de son existence et s'appuie sur eux pour développer un portrait aussi dépourvu d'effets que les tableaux de son héros.

La Corée d'Ohwon était celle des dernières décennies du royaume Chosun. Cette dynastie qui régnait depuis cinq siècles avait atteint une splendeur inégalée, dont le Japon, aux dires des spécialistes, a su prendre exemple et se nourrir. Chosun a brillé par son érudition, mais aussi dans tous les domaines de l'art. Sa fin correspond cependant à une grave misère du peuple, tandis que se manifestent les convoitises de l'impérialisme occidental. La révolte des paysans a précipité sa fin.

La peinture au temps de Chosun était strictement réglementée. Il y avait l'Office royal de peinture où travaillait le peintre de cour, vrai professionnel décrivant au pinceau la famille royale et les événements vécus par elle. L'autre façon d'être peintre passait par l'érudition. L'artiste était un aristocrate, il peignait pour son plaisir les symboles d'une existence idéale. Ohwon n'appartenait ni aux premiers, ni aux seconds. Il était peintre, et semble-t-il, le peintre le plus doué de son temps. Au point que les grands artistes coréens d'aujourd'hui reconnaissent avoir été nourris par lui. Mais il était aussi un roturier, né dans le ruisseau, assurant tant bien que mal sa pitance par la mendicité. Sa chance a été de devenir domestique chez des lettrés collectionneurs. Il y a vu des ouvrages qu'il s'est empressé de copier, stupéfiant ses bienfaiteurs par sa mémoire et son sens de l'observation. Encouragé, accepté dans les écoles, Ohwon a fait son chemin à la seule force de son talent. Il a rapidement été reconnu par tous, menant une vie de bâton de chaise dans les maisons closes, violent, alcoolique, prioritairement obsédé par sa peinture.

A plus de cent ans de distance et depuis les antipodes, il impressionne par sa recherche de l'absolu. La peinture n'est pas la copie de l'objet, elle en fait palpiter l'âme derrière l'apparence. Ohwon, premier peintre indépendant, poursuit cette vie derrière le geste. Un geste, d'ailleurs, tout entier contenu dans son esprit et dans sa main, capable de laisser une trace immédiate, sans repentir, sur le papier. Au cinéma on dirait qu'une seule prise a suffi. Et c'est là qu'on rejoint le réalisateur. Son film lui aussi vibre d'autre chose que de la simple représentation. Rien n'y est superflu. La délicatesse de la caméra, la juxtaposition de certains plans suffisent à montrer le génie de l'artiste. La splendeur de la cour, les maisons, les costumes, les plateaux de repas, les paysages rapportent avec précision une Corée déjà lézardée, mais encore opulente. Le spectateur pénètre un univers inconnu, le temps de comprendre ce que la beauté apporte de sérénité quand elle est habitée par la pensée, comme disent les maîtres d'Ohwon. La copie en revanche, la reproduction, l'art pour l'art, et, plus que tout le souci de plaire, tout cela n'est qu'illusion.



Geneviève Praplan"

Ancien membre