The Land Within

Affiche The Land Within
Réalisé par Fisnik Maxville
Titre original LA TERRE INTÉRIEURE
Pays de production Suisse, Kosovo
Année 2022
Durée
Musique Nicolas Rabaeus
Genre Drame
Distributeur Alva Film
Acteurs Luàna Bajrami, Florist Bajgora, Luan Jaha, Arta Muçaj, Irena Aliu
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 921

Critique

Le premier long métrage de fiction du cinéaste helvético-kosovar Fisnik Maxville nous plonge dans l’histoire d’une famille déchirée par les conflits qui ont ravagé le Kosovo dans les années 1990. Mais cette guerre-là est hors-champ. La guerre dont parle le film est bien plus personnelle.

Après des années d’exil, Remo (Florist Bajgora), un orphelin, revient dans le village de son enfance dans les Balkans. Il doit aider sa cousine adoptive (tout est dans le «adoptive» pour éviter un scandale de mœurs), Una (Luàna Bajrami, vue dans Portrait de la jeune fille en feu), à exhumer une fosse commune contenant la plupart des membres de leur famille, enterrés là pendant la guerre. Mais les corps portent littéralement sur eux les séquelles des vilains secrets de famille qui amèneront Remo et Una à s’interroger sur leur passé et leur avenir.

Fisnik Maxville est un réalisateur d’origine kosovare qui a grandi à Neuchâtel. Il fait partie de cette diaspora de familles qui avaient fui la guerre dans les années 1990 pour s’installer en Suisse. Les gens de ma génération se souviennent très bien des nouveaux camarades albanais et kosovars. Ils venaient d’un lointain ailleurs que nos professeurs n’osaient nommer qu’à demi-mot. Jamais la guerre n’était mentionnée. Et peut-être que ce silence encourageait la stigmatisation injuste de ces familles déracinées.

Le travail de Maxville a donc un aspect documentaire. Ce sont ses premières amours après tout. Toutefois, la forme de The Land Within s'en éloigne. 

Comme si le format «fiction» demandait à être totalement différent du format «documentaire», Maxville se permet de nombreuses coquetteries visuelles qui font rarement mouche et apparaissent davantage comme artificielles. Une musique lancinante un peu pénible; des chapitrages chiadés qui soulignent trop grossièrement ce que le spectateur doit comprendre; des emprunts caricaturaux de mise en scène à des films de genre qui accusent plutôt un manque d’imagination qu’un hommage bien senti (toutes les scènes en forêt approchent du ridicule).

Bref. Maxville aurait gagné à faire ce qu’il sait faire de mieux: du funambulisme sur la lisière trouble entre vérité et fiction.

Le long métrage est-il pour autant à jeter? Tout de même pas. Car dans le paysage aseptisé et souvent consensuel du cinéma suisse, The Land Within surgit un peu comme un bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. Un film taillé dans un granite noir et brut qui exige le respect. Parce qu’il est sobre, parce qu’il est pudique au sujet de la guerre, et parce qu’il aborde une réalité trop peu visible, il mérite largement d’être vu.

Anthony Bekirov


Un autre avis


Le fonctionnement de la justice pénale internationale, c’est notamment ce que donne à voir, et à penser ce premier long métrage de fiction audacieux et bien conçu. Tout comme d’ailleurs le très réussi The DNA Of Dignity de Jan Baumgartner, également présenté en 2023 aux Journées de Soleure, qui prend quant à lui la forme d’un essai documentaire.

Ce que Fisnik Maxville saisit avec ce film, c’est peut-être, et surtout un moment dans l’histoire du Kosovo: celui où l’on va fouiller les charniers. Remuer de la sorte la matière et la mémoire collective, replonge de fait les deux personnages principaux dans leur histoire familiale, dans le quotidien et les décennies écoulées depuis la guerre qui les avaient éloignés. Laissant la vie reprendre ses droits, là où les traumatismes de guerre s’étaient logés. À plus forte raison pour ceux qui se sont éloignés géographiquement de cette terre meurtrie au travers de l’exil, comme c’est le cas de Remo, le personnage principal, à l’instar du réalisateur arrivé en Suisse en tant que réfugié.

Filmer et mettre en scène, c’est parfois aussi écrire l’histoire d’une communauté au-delà de l’impact que l’on peut avoir sur les représentations qui circulent. Le scénario de ce film indépendant est notamment le fruit d’une démarche d’une histoire orale, menée par le réalisateur lui-même sur place auprès de témoins. Une enquête menée patiemment, pour appréhender des faits qui n’étaient pas encore reconstruits par les historiens, et qui selon ses dires, était également difficile à appréhender au travers du seul travail sur les archives de la presse.

L’introduction d’un élément relevant du film de genre avec l’apparition des loups, et l’évocation de toutes les légendes balkaniques qui tournent autour de cet animal est un choix plutôt heureux qui permet d’introduire des respirations dans un film hautement politique. Un film qui a trait à des événements extrêmement violents: des crimes de masse. C’est d’une certaine manière ce qui fait aussi la saveur particulière du si esthétiquement abouti Le Labyrinthe de Pan (2006), dans son traitement de la Guerre civile espagnole.

Un film brut, qui n’a rien à envier aux côtés sombres à certaines pépites du cinéma turc contemporain au caractère rugueux et presque minéral, comme Nuit noire en Anatolie (2022) d'Özcan Alper. C’est sa cohérence visuelle qui fait sa force, nous emmenant dans des atmosphères denses aux nuances de gris teintées de vert et de bleu. Le film est porté par la performance de la jeune Luàna Bajrami, qui en plus de naviguer avec aisance et succès entre sa casquette de réalisatrice et celle d’actrice se montre ici à l’aise dans un drame historique que dans des films plus légers.

Ce que révèle également cette première œuvre de fiction, c’est une volonté et une certaine habileté de grande intensité lorsqu’il s’agit de figurer et de questionner les violences à l’écran, et particulièrement leurs traces sur les lieux et les corps. Ce qui nous emmène dans un univers proche des ambiances bien construites et angoissantes de certains films latinos puissants, hautement politiques et violents, mais aussi accessibles au grand public par leur forme comme Enfance clandestine (2012) de Benjamin Àvila, ou encore Elefante Blanco (2013) de Pablo Trapero avec Ricardo Darín.

Cette fiction, récompensée par le Prix du Meilleur film de fiction au Festival Black Nights de Tallinn en 2022, révèle un auteur qui a son propre style - probablement assez clivant - et un talent certain, ainsi qu’une forme d’intelligence, pour raconter des histoires, souvent proches des réels. Après plusieurs documentaires, dont Nostromo (2021) primé dans la Section nationale à Visions du Réel, The Land Within constitue un passage à la fiction dont la qualité et la consistance du propos sont à saluer. C’est visiblement un réalisateur qui a beaucoup à dire - au risque de parfois se disperser dans la trop grande richesse de son scénario -, et dont on se réjouit de suivre la suite du parcours. Mais surtout, ce que ce film peut permettre au spectateur de découvrir, c’est un regard singulier, à la fois très lucide et analytique sur les réalités contemporaines, qui cherche sa voie entre enjeux géopolitiques, et intériorité de ses personnages.

Noémie Baume


Invité.e

Appréciations

Nom Notes
Anthony Bekirov 11
Marvin Ancian 13
Noémie Baume 15