Tiger Stripes

Premier long métrage de la réalisatrice malaisienne Amanda Nell Eu (dont l’entretien fut publié dans notre numéro précédent à l’occasion du NIFFF), Tiger Stripes reflète la vigueur de la scène fantastique sud-asiatique contemporaine. Un film curieux, doté d’une énergie turbulente.

Chaleur et moiteur planent dans l’école pour filles où Zaffan fait ses classes. Au cœur d’une zone rurale située en lisière de jungle, la jeune fille de 12 ans est en proie aux changements physiologiques: la puberté pointe son nez. Tourmentée par sa nouvelle condition, soumise aux yeux de tous, et de surcroît à l’autorité religieuse et familiale qui régissent la vie de cette communauté malaisienne, Zaffan se sent possédée. Possédée par le démon ou par sa féminité? Son cercle l’exclut peu à peu: son comportement inhabituel interroge, choque voire dégoûte, et provoque l’incompréhension.

Oscillant entre mythe surréaliste et fable hallucinée, l’histoire s’emballe au rythme de la métamorphose de l’héroïne, qui se mue en bête sauvage et se perd dans les antres de la forêt tropicale. L’exorcisme forcé auquel elle sera soumise par sa famille n’y changera rien, puisque Zaffan poursuivra son irrépressible métamorphose en s’exilant de tous. Métaphore déjantée du corps qui se transforme et de sa perception par la société aux prémices de l’adolescence, Tiger Stripes se pose en discours générationnel, sobrement féministe et dépouillé de toute prétention tendancieuse. Oui, le film de genre «féministe» est un label, assez plébiscité ces dix dernières années, au point d’incarner une force marketing quelque peu agressive, étiolant parfois le propos narratif au profit d’une «condition». À l’heure de l’inclusivité conjuguée à toutes les sauces, pourquoi autant cloisonner le cinéma sous couvert d’identité de genre? Pas de prétention de la sorte dans ce premier long métrage. Amanda Nell Eu se détache du conventionnalisme pour laisser place à l’agitation sans se soucier de l’équilibre ou du politique, impulsé par le sentiment et le souvenir ce qui évidement constitue sa force.

Un film qui respire aussi grâce à un casting réussi, faisant parfois basculer la trame vers le film fantastique, parfois vers l’horreur ou le «teen movie», en dosant la folie et la naïveté qui le compose. Lauréat du Grand Prix de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2023, on pourrait souhaiter à Tiger Stripes de voyager encore et encore, pour célébrer l’alchimie qui le compose.