20’000 espèces d’abeilles

Une jeune enfant assignée au genre masculin à la naissance découvre sa transidentité pendant des vacances en famille chez sa grand-mère maternelle. Si l’histoire peut être touchante, le film n’en est pas moins banal.

En se focalisant sur une période de vacances, hors du quotidien, le récit compose avec tous les mécanismes et clichés de la recherche d’identité du «coming of age»*, sans en être à proprement parlé, puisqu’il se concentre sur l’enfance. Le lien avec le passage de l’enfant au monde des adultes est en fait lié au sujet du «coming out». Au cours des années 2010, avec une reconnaissance montante des droits des personnes LGBT+. Et notamment sur la question du mariage pour toutes et tous, dont le cinéma mainstream profite de ces mouvements pour capitaliser le thème. Ces récits tournent donc autour de «l’annonce» à la société hétéronormée, représentée par la famille d’une orientation sexuelle et/ou identité de genre souvent «non conforme». L’exemple contemporain le plus intéressant (puisqu’il dépasse précisément la question du coming out) est probablement Call Me By Your Name (Luca Guadagnino, 2017). En effet, un défaut majeur de ce genre de récit est de faire comme si «la sortie du placard» était le seul point de bascule possible, formant ainsi une sorte de réduction identitaire à la question du genre et/ou de la sexualité. Ce discours était pourtant déjà remis en question, de façon très punk, pendant les années 1990 avec le New Queer Cinema, période durant laquelle des cinéastes comme Gregg Araki, proposaient de représenter des personnages queers dans des questionnements existentiels dépassant leur identité de genre et/ou d’orientation sexuelle. C’est ce que 20’000 espèces d’abeilles peine à faire.

Sur les points positifs, les images sont belles. Avec une caméra portée, légèrement tremblante, et des lumières naturelles, la réalisation met surtout en avant le jeu d’actrice, et plus précisément celui de l’ensemble du casting. Les relations familiales sont complexes et mises à mal par la séparation imminente des parents. Elles dévoilent l’absence du père de la mère, dont on comprend qu’elle n’a pas toujours été facile à vivre avec. Par ailleurs, ces relations difficiles sont accompagnées d’une grand-mère conservatrice, pas sympathique, et surtout d’une grand-tante apicultrice queer au sens premier du terme («bizarre»). Elles forment à elles deux des représentations riches et vivantes. Sur la question de la transidentité de l’enfant, il est aisé de constater le fruit d’un travail de recherche conséquent. L’actrice tenant le premier rôle, Sofía Otero, et la réalisatrice ont à ce titre été conseillées par une association locale venant en aide aux familles de personnes transgenres mineures. Force est de constater que la représentation de la situation semble très bien documentée et proche d’une certaine réalité. Or le nœud du récit et ses représentations sont convenus. En exemple, la figure de la sirène, évoquée sous différentes formes, que ce soit sous la forme verbale ou celle du déguisement. Pourtant, le surlignage de cette créature mythologique, il faut bien l’admettre, souvent utilisée par les communautés transféminines comme métaphore de leur identité, est ici presque de l’ordre du grotesque, tant elle offre un caractère cliché. De la même manière, que chaque plan (ou presque) met en scène la transidentité de la fillette d’une façon très peu subtile. C’est un peu lourd. 

* Un récit «coming of age» est un genre littéraire et cinématographique, qui raconte un ou plusieurs moments-clés de croissance personnelle d’un ou de plusieurs personnages, pendant leur passage de l’enfance ou l’adolescence à l’âge adulte.