La Bête

Affiche La Bête
Réalisé par Bertrand Bonello
Pays de production France
Année 2023
Durée
Musique Bertrand Bonello, Anna Bonello
Genre Drame, Thriller psychologique, Science-fiction
Distributeur Sister Distribution
Acteurs Elina Löwensohn, Léa Seydoux, George MacKay, Guslagie Malanda
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 917

Critique

Adaptant la nouvelle d’Henry James, la bête enfantée par Bertrand Bonello s’avère effrayante et somptueuse, bien qu’elle cache sous sa belle peau une ossature réactionnaire.

Cela finit par un cri. Un cri dont on comprend rétrospectivement qu’il fut la matrice émotionnelle de ce voyage dans le temps. Trois époques: 1910, 2014, 2044. Deux corps: ceux de Léa Seydoux et de George MacKay, mis sous pression par la bête tapie dans l’ombre, cette caméra de Bonello qui les enjoint d’être des personnages de fiction, des poupées télécommandées par un créateur démiurge (cf. l’incipit du film qui montre Léa Seydoux devant un fond vert répondant aux ordres de Bertrand Bonello lui-même). Épreuves, donc exorcismes. Cri.

Le vocabulaire propre au fantôme nous vient naturellement. La Bête est un film d’horreur. Bonello travaille une émotion, la peur, dans son nouage avec un sentiment, l’amour. La Bête, c’est ça. C’est un film d’horreur sur l’amour, dont les trois blocs temporels ne sont que des variations sur ce même motif.

L’époque informe la peur. C’est-à-dire, lui donne sa forme. 1910 lui dote d’une texture sociale: la pudibonderie du Paris de la belle époque empêche Gabrielle (Léa Seydoux) et Louis (George MacKay) de vivre pleinement leur amour. 2014 actualise la peur de l’Incel, du tueur solitaire, dont le ressentiment l’empêche d’aimer et qui scrute sa proie en sillonnant les grandes maisons bourgeoises d’un Los Angeles encore hanté par Charles Manson. 2044, la pire de toutes, achève la peur, tue l’émotion elle-même - et c’est bien cela le plus effrayant. C’est ce meurtre de la peur dont Léa Seydoux crie l’horreur à la toute fin du film. Comme Dieu pour Nietzsche, la peur est morte. Elle est devenue l’utopie d’un arrière-monde. Un doux rêve inactuel.

Gabrielle a été épuisée pendant 2 h 26. Il ne lui reste plus qu’à périr en poussant un ultime cri, comme un dernier battement de cœur. Et à nous spectateurs de repartir avec un pauvre générique défilant sur notre smartphone, glané via un QR code froid. La technophobie infuse alors l’œuvre. Correction, ou nuance, par rapport à ce que nous disions plus haut: La Bête n’est pas qu’un film d’horreur. Bonello a bien quelque chose à raconter, et c’est bien cela sa limite. Qu’elle était belle cette époque victorienne, costumée et romantique, qui faisait droit aux amours cachés, torturés et impossibles! Elle a permis Henry James. Qu’ils étaient intenses ces temps où le crime rôdait, où le Mal existait encore, déchaînant ses forces sur les corps féminins! Ils ont accouché du cinéma de David Lynch que Bonello ne cesse de lorgner. Oui, ce film a un discours: il est le réceptacle d’une rêverie réactionnaire.

En bon dandy, Bonello exècre l’époque. Elle est selon lui décadente, catastrophiquement vouée au totalitarisme de la rationalité et à la destruction de l’émotion, seule matrice de la création. Plus de peur, donc plus d’amour, donc plus d’art. Au fond, La Bête raconte la difficulté accrue de créer dans ce monde de plus en plus froid; et, à ce titre, le prologue distanciant en fond vert conscientise cette aporie.

On reprochera volontiers ce discours au mieux convenu, au pire franchement stupide: Bonello ne brillera décidément jamais par son acuité politique. Cela dit, le voyage aura tout de même valu le coup: il nous aura offert le baroud d’honneur d’un cinéma aristocratique qui se meure, un tombeau somptuaire serti de scènes frissonnantes et baroques. Pour la beauté du geste.

Tobias Sarrasin

Appréciations

Nom Notes
Tobias Sarrasin 16
Pierig Leray 18
Marvin Ancian 11
Noémie Baume 10