Menus-plaisirs - Les Troisgros

Affiche Menus-plaisirs - Les Troisgros
Réalisé par Frederick Wiseman
Pays de production France
Année 2023
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Xenix
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 916

Critique

Consacré à l’entreprise de restauration et d’hôtellerie française Troisgros, le dernier film de Frederick Wiseman propose une expérience immersive en caméra embarquée, qui par petites touches, compose une œuvre très puissante et riche visuellement.

On peut dans un premier temps être réfractaire à l’idée aberrante d’aller voir un documentaire de 4 heures dans une salle obscure, où il ne se passe pas grand-chose a priori. Pourtant l’histoire du cinéma nous a prouvé que le médium cinématographique était par essence ambivalent, capable d’articuler dans une même œuvre, fiction et réalité. Les films de la Nouvelle Vague et de Jean Rouch l’ont bien prouvé.

     Et c’est dans cette perspective que Frederick Wiseman réalisait son premier grand succès en 1967, Titicut Follies, qui montrait pour une des premières fois, et ce, de façon très crue, l’intérieur d’une institution psychiatrique pénitentiaire. Il appliquait de ce fait les méthodes du cinéma direct, rebaptisé cinéma-vérité, popularisées par Jean Rouch et son chef opérateur Michel Brault dans notamment Chronique d’un été (1961). En somme, une prise de vue synchrone directe dans le but de montrer une réalité sans filtre. Toutefois, à la différence de Jean Rouch, qui au fil de sa carrière cherche à produire des films plus participatifs avec ses sujets, Frederick Wiseman choisit de toujours garder cette distance avec ce qu’il filme. Le dispositif cinématographique qu’il emploie ne sert qu’à capter le réel. Il n’interagit pas avec ses sujets mais il les observe.

     Ainsi, les dialogues de Menus-plaisirs - Les Troisgros sont des échanges entre des personnes censées interagir naturellement, comme si la caméra n’était pas là, préoccupées par la hausse du prix du vin par exemple, ou encore par le temps de cuisson d’un dessert. L’équipe du réalisateur cherche donc à capter les interactions les plus intrigantes ou excitantes, dans leurs tensions sous-jacentes, souvent révélatrices de relations complexes. La caméra est très mobile, cherchant à se placer discrètement au meilleur endroit, et la prise de son direct permet de mieux distinguer les voix du fond (qui joue néanmoins un rôle important). Une autre étape essentielle de la création est évidemment le montage. C’est avec près de 150 heures de rushs que le réalisateur compose un découpage très fin, gérant des espaces très divers et des moments d’émotion, voire de poésie, très doux. Toujours avec les bons inserts, au bon moment.

     Cette douceur, que l’on pourrait autrement qualifier maladroitement de lenteur, est en fait le résultat d’une caractéristique spécifique au documentaire. Le documentaire met en place dans son rapport au réel, une relation unique au spectateur, et l’arsenal de formes employées par Wiseman positionne de façon très méthodique le spectateur. De façon encore plus évidente, dans le documentaire, à la différence de la fiction, les personnes regardent la caméra, et ce, même si on leur demande de ne pas la regarder. À cet égard, la scène avec le bébé est parlante car celui-ci regarde la caméra. Cette séquence induit ainsi la présence de la caméra. 

     Subtils et touchants, ces moments de grâce nourrissent le jeu avec le spectateur tout au long du film. Peu à peu, nous découvrons avec amusement les modalités du contrat spectatoriel, sans le lourd accompagnement d’une voix over. Un rapport bien plus humain, paradoxalement.


Ani Gabrielyan

Appréciations

Nom Notes
Ani Gabrielyan 17
Marvin Ancian 16