De Humani Corporis Fabrica

Affiche De Humani Corporis Fabrica
Réalisé par Lucien Castaing-Taylor, Véréna Paravel
Pays de production France, États-Unis, Suisse
Année 2022
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Sister Distribution
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 914

Critique

Des gravures du traité d’André Vésale aux images cinématographiques issues de l’ethnographie sensorielle, l’exploration de l’anatomie humaine constitue une innovation didactique dans laquelle la science procèderait à la désacralisation du corps. Mais du jeu antagoniste du sacré et du profane, le dévoilement visuel qui s’offre à nous est essentiellement somatique. Pour le meilleur et pour le pire.

Au milieu du XVe siècle, André Vésale comparait le corps humain comme la plus parfaite construction («fabrica») et l’instrument de l’âme immortelle, dont l’intériorité correspondrait à un petit univers, le microcosme. Ce dernier renvoyant au bien plus grand, le macrocosme, la conjoncture historique a voulu que De Humani Corporis Fabrica, le traité d’anatomie de Vésale, soit publié en 1543, la même année que De Revolutionibus orbium coelestium, l’ouvrage de Nicolas Copernic sur l’héliocentrisme. Alors que la représentation d’un «au-delà» extérieur et intérieur se dévoilait, les limites du sacré semblaient peu à peu dévoyées. Pourtant, le sacré appelant la transgression (et vice versa), le corps devient un lieu métaphysique ouvert à toute forme de questionnement moral. L’homme a toujours cherché à comprendre sa propre finitude, et la matière qui le compose, un sujet à la fois d’émerveillement et de répulsion.

Après Leviathan (2012) et Caniba (2017), le dernier documentaire de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor s’inscrit dans la continuité d’un cinéma «qui vient du corps et le fait parler», et où la matière, justement, devient une problématique esthétique et politique. Dès la fin des années 2010, les deux anthropologues franco-américains ravivent la tradition de la production de films de Cambridge en créant un Laboratoire d’ethnographie sensorielle (SEL) au sein de l’Université de Harvard. En mobilisant des nouveaux codes visuels et sonores, ils mettent en œuvre des combinaisons novatrices technologiques et ethnographiques. Ils sollicitent de ce fait l’attention des spectateurs sur les multiples dimensions de l’expérience sociale et subjective pouvant difficilement être rendues par les mots seuls.

Au-deçà de toute science-fiction, l’enjeu de De Humani Corporis Fabrica réside dans la captation sensorielle et bien réelle de l’intérieur de notre corps, au moyen de trois différentes caméras qui sont autant de manières de voir: esthétique ou médicale. Si entrer au cœur des textures organiques emplies de sang et autres fluides, est éprouvant, la naissance d’un bébé prématuré par césarienne nous offrent de réels moments d’émotion. À l’exemple des planches anatomiques du traité de Vésale, gravées par les artistes de l’atelier du Titien, les images de Paravel et Castaing-Taylor expriment une plasticité ambivalente, familière et inconnue; c’est-à-dire, l’extérieur et l’intérieur. Entrer dans la matière, c’est entrer dans le réel, dans le sacré et le transgressif. Et les va-et-vient de la caméra, dans et hors de la «fabrica», configurent des iconographies similaires, métaphorisant les défaillances du corps humain et du corps hospitalier.

Ainsi, De Humani Corporis Fabrica est un film politique qui nous fait prendre conscience que notre corps et l’hôpital demeurent des «cosmos» méconnus. Mais aussi des sujets de fascination et de répugnance. Hélas, quoique leur approche scientifique continue à être innovante, Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor ont produit des films bien plus efficaces, tant visuellement que structurellement. Ce film n’égale clairement pas le remarquable Leviathan.

Kim Figuerola

Appréciations

Nom Notes
Kim Figuerola 13
Ani Gabrielyan 16
Marvin Ancian 13
Pierig Leray 15