Voyage au pôle Sud

Affiche Voyage au pôle Sud
Réalisé par Luc Jacquet
Pays de production France
Année 2023
Durée
Musique Cyrille Aufort
Genre Documentaire
Distributeur Xenix
Age légal 6 ans
Age suggéré 10 ans
N° cinéfeuilles 913

Critique

Après avoir suivi une famille de manchots dans La Marche de l’empereur (2005), le botaniste Francis Hallé dans Il était une forêt (2013) et le glaciologue Claude Lorius dans La Glace et le ciel (2015), Luc Jacquet se suit lui-même dans son nouveau documentaire, Voyage au pôle Sud. Il en résulte un film qui attirera moins les familles et les enfants que L’Empereur ou Le Renard et l’enfant, et intéressera moins les curieux de SVT* que ses portraits de scientifiques. Mais il est incontestablement plus personnel, et d’une forme cinématographique plus intéressante. Et qui, pour deux raisons au moins, rappelle étonnamment Chris Marker.

Comme son titre le suggère, Voyage au pôle Sud adopte la forme d’un carnet de voyage. Hormis la musique (au demeurant excellente, signée Cyrille Aufort) et une nappe sonore évoquant le craquement des arbres patagons, des glaces antarctiques et les eaux australes, la seule voix que l’on entend tout au long du film est celle de Luc Jacquet. Lui, ayant si souvent recours à la première personne dans ses narrations, parle donc pour la première fois en son nom propre. Ses commentaires uniques et quasi incessants s’adressent à un destinataire, à la façon de celui écrit par Chris Marker pour Sans soleil. Et tout comme ce dernier, ce texte mi-contemplatif, mi-philosophique, vise d’abord à mettre des mots sur la passion, la fascination - voire l’obsession - d’un tropisme. Le Japon pour Marker, les terres australes pour Jacquet. La qualité littéraire du texte de Jacquet perd des points si on la compare à celui de Marker, mais la sincérité, y compris dans ses effets de manche rhétoriques maladroits, est la même.

On peut voir un autre hommage à Marker dans le bref instant voulu comme l’exception à la règle esthétique du film: Voyage au pôle Sud est un film en noir et blanc. Il est difficile de comprendre définitivement pour quelle raison, d’ailleurs. Est-ce une façon supplémentaire d’asseoir ce long métrage comme un film davantage «d’auteur» que les précédents? Une manière d’exacerber la beauté de ce paysage, où tout semble déjà réduit au noir et au blanc - les manchots, les baleines, les phoques, les icebergs? Un commentaire sur l’imminence même de la disparition de ce monde primitif, le noir et blanc de l’image le projetant déjà dans le passé? Toujours est-il que, tout comme dans La Jetée, un fugace mouvement animait fugitivement les images fixes du moyen métrage. Ici, une imperceptible incursion de la couleur - mais une couleur monochrome - réussit le miracle de s’intégrer magnifiquement au long métrage, et de donner plus de relief à sa superbe photographie en noir et blanc.

La réussite du film de Luc Jacquet tient à l’état de contemplation que la beauté plastique de ses images et sa bande sonore parviennent à provoquer. Il s’agit en somme moins d’un film à thèse - même si la précarité de ce monde, qui se rappelle à nous en pleine COP28, à de quoi faire frissonner, et pas que de froid - que d’un film à «antithèse», invitant à se laisser embarquer en Antarctique.

Rodolphe Bacquet

* Sciences de la vie et de la Terre.


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