Notre corps

Affiche Notre corps
Réalisé par Claire Simon
Pays de production France
Année 2023
Durée
Musique Elias Boughedir
Genre Documentaire
Distributeur Adok Films
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 913

Critique

Au nom de la mère, de la sœur et du Notre corps c’est ainsi que Claire Simon scande une nouvelle fois un hymne à la création, à la vie, entre les murs agités d’un hôpital parisien.

Par les 168 minutes de film, soit près de 3 heures de documentaire, c’est une claque, ou plutôt une gifle perdue au milieu de mille paroles entremêlées aux gestes du soin, qui est assénée au public. Véritable témoignage du vivant, orchestré par l’œil titanesque de la célèbre réalisatrice française de 68 ans, toujours autant éveillée par les dynamiques sociales et les questions humanistes. Suivant le rythme effréné des consultations en médecine de la femme, où se croisent les services de gynécologie, maternité, PMA ou encore transition de genre, la caméra se pose en observateur des échanges entre patient et praticien. Celle-ci circule discrètement dans les salles d’intervention et reste en dehors de toute interprétation. S’instaure ensuite sur la longueur, une navigation entre le sensible et l’implacable logique physiologique, où un discours universel se construit dès les premières séquences: celui du corps féminin, écouté, ausculté, manipulé ou opéré à notre époque. En s’inscrivant dans un dialogue entre l’émotif et le ressenti, allant de la souffrance à la paix, de la peine à la joie, une mosaïque se crée à partir de ces fragments d’histoires qui se succèdent dans l’intime confidentialité de l’institution publique: et qui se dévoilent à l’objectif.

Une femme met au monde son enfant en salle de travail, une autre subit un dépistage du cancer du sein, des laborantins procèdent à une fécondation in vitro… Autant de destins qui se chevauchent sur le papier sans jamais se croiser dans le monde physique, pour se retrouver à l’image. Dans son dispositif formel, des questions se soulèvent concernant le sensationnalisme et l’héritage du cinéma direct induit par une image «objective». Terme quelque peu désuet, le cinéma direct qualifiait un genre de films français, américains et canadiens qui engageaient un rapport différent au sujet par l’utilisation de caméra légère et un minimum d’interaction avec celle-ci. Suivant différents protocoles, en fonction des écoles de pensées, les films se rattachant au cinéma direct étaient censés produire une proximité inédite entre le public et les images. Afin d’être au plus près du réel ou au plus près de la «vérité», ce qui demeure encore une matière à débattre. Théorisés en 1960, puis largement éprouvés par le cinéma ethnographique, ainsi que par l’anthropologie visuelle dans les années 1990, ces termes traduisent une problématique inhérente au progrès technique: celle du souci de la représentation de l’être humain par l’image. Seulement le corps féminin et son image restent encore aujourd’hui le sujet de nombreux débats. En effet, l’intimité, la pudeur ou les questions de mœurs restent des marqueurs d’évolution des mentalités contemporaines, avec comme fer de lance l’apparence et les vecteurs de fécondité.

En ne recontextualisant aucune des images captées, ce documentaire trace une frontière poreuse entre le sensationnalisme et le progrès. Sensationnel, car traitant de sujets dits sensibles, avec des paroles médicales et personnelles noyées dans l’accumulation d’images éloquentes. Que cela soit celles des patientes cuisses ouvertes, pieds dans les étriers ou celle des larmes d’un docteur annonçant à une jeune fille qu’elle ne pourra pas avoir d’enfants, après une procédure qui lui sauvera la vie, représentent autant de faits banalisés pour le domaine médical, mais attrayant pour le grand public. D’où cette impression d’être parfois forcé à participer à du voyeurisme lors de certaines séquences. L’intime féminin et ses cycles, qui est historiquement un sujet tabou, doit-il bénéficier d’un régime d’image à part entière au 21e siècle? Laissons la question ouverte, puisque l’autre frontière que trace Notre corps est progressiste. Progressiste dans sa définition technique et moral: filmer autant de contenu, tout en supprimant sa dimension purement informative afin de lui injecter une teneur sensible. Cette pratique est d’ailleurs devenue courante dans la production audiovisuelle contemporaine. Pouvoir combiner autant de contenu, en milieu institutionnel, sur des sujets aussi délicats qu’humains, témoigne entre autres, d’une libération des consciences populaires. Notre corps, au-delà d’être un film puissant, est un grand film par les problématiques qu’il reflète.


Emilie Fradella

Appréciations

Nom Notes
Emilie Fradella 18