La Passion de Dodin Bouffant

La Passion de Dodin Bouffant, Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, se situe entre le long métrage d’action entraînant (vous avez bien lu) et le nanar bouffon. Un drôle de film.

C’est avant tout le désir et le plaisir que Tran Anh Hung veut filmer. Désir et plaisir de la chair. Désir et plaisir des chairs (permettez-moi ce ton grivois), que le montage entremêle, mettant en parallèle dans un raccord qui frôle le mauvais goût une poire allongée sur une assiette et le corps nu de Juliette Binoche chu sur son lit, proie du male gaze de l’hédoniste Benoît Magimel. Le film raconte en effet une romance entre le gastronome Dodin (Benoît Magimel) et sa cuisinière Eugénie (Juliette Binoche), sur fond de pot-au-feu. L’analogie entre gastronomie et érotisme n’a pas grand-chose de révolutionnaire; on peut même affirmer qu’elle compose un cliché bien digéré dont témoignent plusieurs expressions de la langue courante (pensez à toutes les métaphores gastronomiques qui servent à parler de sexe). Le film n’est donc pas exempt d’une certaine lourdeur métaphorique.

La lourdeur se situe aussi au niveau des dialogues, lesquels sont au mieux sentencieux (on a droit à une multitude de bons mots comme: «la découverte d’un mets nouveau fait le bonheur de l’humanité beaucoup plus que la découverte d’une étoile»), au pire franchement niais (certains échanges mièvres entre Eugénie et Dodin). Impossible avec cette écriture que les acteurs soient dans de bonnes dispositions pour proposer des partitions convaincantes: si Binoche s’en sort avec une certaine sobriété, Magimel ne peut s’empêcher d’affecter une expressivité et une bonhomie qui sonnent souvent faux. En outre, la gestion de la lumière enfonce le clou de l’aspect gros-sabot du film: (spoiler) la mort d’Eugénie, pivot narratif du film, fait spectaculairement basculer les plans d’une température chaleureuse jaune-sépia à une grisaille généralisée. On a vu plus subtil pour un film en Compétition officielle à Cannes…

Il subsiste tout de même quelque chose à sauver dans cette Passion de…: la manière de filmer la cuisine. Les trente premières minutes sont à ce titre tout à fait stupéfiantes: elles nous emmènent dans une symphonie de découpes, de cuissons, de fritures, qui peuvent presque rappeler le déchaînement opératique d’un Mad Max: Fury Road. Tran Anh Hung a supprimé tous les moments d’attente (entre deux cuissons par exemple) pour se focaliser sur les gestes des cuisiniers et la matérialité des victuailles. La caméra tournoie, flotte, cadre, recadre au gré des inserts sur les aliments. Par ce vertige et cette ivresse qu’elle provoque, à rebours d’une captation naturaliste, elle nous immerge dans la psyché désirante et pulsionnelle de Dodin. Ainsi, le film a le mérite de trouver une incarnation formelle à l’érotisme de son protagoniste et par là justifie - un peu - la métaphore balourde que nous dénoncions plus haut.