Le Corbusier à Chandigarh - La force de l’utopie

Affiche Le Corbusier à Chandigarh - La force de l’utopie
Réalisé par Thomas Karrer, Karin Bucher
Titre original Kraft der Utopie - Leben mit Le Corbusier in Chandigarh
Pays de production Suisse
Année 2023
Durée
Musique Atul Sharma
Genre Documentaire
Distributeur Cineworx
Age légal 6 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 908

Critique

Chandigarh est une cité ex nihilo universaliste créée par Le Corbusier dans une Inde nouvellement affranchie de l’impérialisme britannique. Partant de la citation de l’architecte franco-suisse «L’utopie est la réalité de demain», ce documentaire confronte les idéaux de modernité corbuséens des années 1950 au quotidien actuel des habitants de cette ville. Il soulève de ce fait une problématique tant culturelle qu’idéologique, et un point de vue postcolonial bienvenu.

Du terme platonicien, Kallipolis (la «belle cité» décrite dans le livre VII 527c de La République) à Utopia, vocable créé par Thomas More en 1516, la notion d’utopie relève de l’imaginaire et de l’irréalisable. Au centre de ces deux paradigmes philosophiques réside la question d’une société idéale mais abstraite. Or, Chandigarh, née de l’intégration de Lahore dans le Pendjab pakistanais, après la partition de la province en deux régions distinctes, l’une indienne et l’autre pakistanaise (conséquence indirecte du départ des colons britanniques en 1947), semble avoir déjoué l’inconcevable en devenant une cité utopique bien réelle - a priori. Mandaté par le premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, Charles-Édouard Jeanneret-Gris (connu sous le nom de Le Corbusier) est l’architecte nommé pour la création de la nouvelle capitale pendjabienne. Celle-ci doit non seulement symboliser l’indépendance récemment acquise, se libérer des traditions du passé, mais s’élever également au-dessus des tensions politico-religieuses, et lui conférer ainsi une aura universaliste. Dès 1951, avec Pierre Jeanneret, Edwin Maxwell Fry, Jane Beverly Drew et une équipe de jeunes architectes indiens, Le Corbusier crée une ville ex novo, au pied de la chaîne himalayenne, devenant la démonstration absolue de son application de l’architecture brutaliste moderne et de l’utopie urbanistique. Toutefois, connu pour son radicalisme, Le Corbusier, «à la fois précurseur et clivant», crée une œuvre totale qui «polarise et fascine».

Se saisissant comme postulat de départ de la citation «L’utopie est la réalité de demain», le documentaire de Karin Bucher et Thomas Karrer a pour objectif d’offrir une réflexion constructive sur les motifs pour lesquels Chandigarh (nommée «City Beautiful») est admirée, mais perçue également comme une conception d’impérialisme culturel et « une tentative d’imposer à l’Inde les idées occidentales du progrès». Le choix d’un architecte occidental pour ce projet urbain sur territoire indien peut en effet paraître comme une aberration; a fortiori, trois ans après que le pays est parvenu à s’émanciper du colonialisme britannique. Le Corbusier à Chandigarh - La force de l’utopie est donc un film qui confronte cette problématique et réfléchit sur l’héritage de l’architecte franco-suisse dans une Inde postmoderne en pleine mutation. Ce qui frappe en premier lieu dans ce documentaire, constitué de photos d’époque, de films d’archives et de séquences tournées in situ, c’est l’ingéniosité indéniable de Le Corbusier (le maillage urbain ou la solution bioclimatique des brise-soleil). Mais aussi l’usage inadéquat et presque absurde du béton, dans un climat particulièrement chaud et humide. Accompagné par la Gnossienne n. 1 d’Erik Satie aux sons indiens (soulignant l’approche postcoloniale), le film des cinéastes suisses nous présente le point de vue de Siddhartha Wig, Deepika Gandhi, Gurcharan Singh Channi et Diwan Manna. Quatre «acteurs culturels» et habitants de Chandigarh qui nous livrent ainsi leur vision esthétique, politique et sociale de la ville. À la fois admirateurs et détracteurs, ils questionnent par ailleurs la persistance coloniale qui subsiste à travers un enseignement et une pratique de l’architecture qui demeurent encore eurocentrés.

Pourtant, le film aborde peu la question de l’autorialité de Chandigarh. En particulier celui du rôle de tous ces Indien·ne·s anonymes, la plupart des migrants, qui, à mains nues, ont très largement participé à la construction de cette cité idéale. Le premier documentaire en couleur d’Alain Tanner, Une ville à Chandigarh (1966), a justement le mérite d’avoir démontré que ce «petit peuple» oublié de la grande histoire, est la pierre angulaire qui a rendu possible l’utopie urbanistique de Le Corbusier. Ce petit peuple qui, peu à peu, a transformé la Chandigarh unique mais cartésienne en une ville organique, comme bien d’autres villes en Inde.

Kim Figuerola

Appréciations

Nom Notes
Kim Figuerola 16