Le Procès Goldman

Affiche Le Procès Goldman
Réalisé par Cédric Kahn
Titre original Le Procès Goldman
Pays de production France
Année 2023
Durée
Genre Film de procès
Distributeur Adok FIlms
Acteurs Stéphan Guérin-Tillié, Nicolas Briançon, Arthur Harari, Arieh Worthalter
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 908

Critique

Portant à l’écran le procès d’un fait divers qui a laissé des traces dans la société française, Cédric Kahn signe un véritable coup de force cinématographique, d’une densité thématique affolante.

«Vous n’êtes pas un tueur, mais vous avez tué», lance dans sa plaidoirie l’avocat du ministère public (Aurélien Chaussade) à Pierre Goldman (Arieh Worthalter magnifique), accusé du meurtre de deux pharmaciennes dans une droguerie du 11e arrondissement. Cette sentence cristallise l’ambiguïté du prévenu. Révolutionnaire, gangster, intellectuel d’extrême gauche, issu d’une famille de résistants juifs polonais: l’homme a plusieurs facettes. Cet éclatement de la subjectivité constitue précisément le cœur battant du film, lequel a l’intelligence, à rebours de cette psyché centrifuge, de se recentrer sur le procès, lieu de concrétion des différentes paroles qui s’entrechoquent.

Dans la lignée d’un Maurice Pialat, Cédric Kahn épure ses plans, filme «à l’os». Sa passion est la captation matérielle, le métrage étant si incarné qu’il donne presque l’impression de se dérouler en direct. La méthode de tournage va d’ailleurs dans ce sens: Kahn a reproduit une salle d’audience, a fait vraiment jouer le procès dans son ordre chronologique, invité des spectateurs et restitué leurs véritables réactions, et enfin filmé le tout avec trois caméras placées à différents endroits de la salle. Ce dispositif est très proche de la captation TV et fait tendre la forme du film vers une forme documentaire.

Mais non content de rendre tangible chaque situation, ce style est témoin aussi, comme souvent dans les grandes œuvres, d’un rapport métaphysique au monde. Chez Cédric Kahn, il incarne le fait que le réel existe bel et bien en dehors des subjectivités. En témoigne cette lumière éblouissante qui traverse la verrière de la salle et offre aux plans leur température, figuration platonicienne de la Vérité, inaccessible à ce prétoire semblable à la Caverne, où les paroles douteuses fusent comme des ombres. Car le «drame de cette affaire», comme le dit l’un des avocats de Goldman Georges Kiejman (Arthur Harari fantastique): c’est que les seules charges sont des témoignages. Le Verbe est l’unique véhicule menant au Jugement.

Le Procès Goldman est donc un film sur le langage, sur la puissance de fascination de la dialectique. Dans ce match d’orateurs, il n’est pas étonnant que le plus volubile, celui avec le plus grand panache s’impose: Pierre Goldman sera en effet acquitté. Il nous aura aussi séduits, nous spectateurs. On l’aura trouvé magnifique dans l’exercice de sa rhétorique virtuose. Kahn nous dit alors une chose: Pierre Goldman est ressorti libre du tribunal parce qu’on désirait le voir libre. Acuité du cinéaste philosophe: le désir précède toujours le jugement.

Ce désir de l’acquittement qui suinte à chaque plan est à inscrire dans la conjoncture politique et intellectuelle spécifique du milieu des années 1970. Le film documente cela extrêmement bien, sondant une certaine France dont il fait deuil: celle où la gauche radicale était dominante dans les champs culturel et médiatique - d’où l’élection de Mitterrand en 1981. Cette hégémonie a à l’évidence donné vigueur à la défense de Goldman, coqueluche des mouvements communistes et qui incarnait le fétiche de la révolution ces années-là. Il revendique d’ailleurs pleinement son activité politique. Sa parole dans le film n’a pas pour seul but de plaire, elle est également existentialiste en ce qu’elle signale un rapport au monde fondé sur la responsabilité, l’engagement et la lutte. Cette vie militante prend racine notamment dans son identité juive. Affirmant celle-ci, assumant l’histoire tragique de sa famille, voulant la sublimer par l’action politique, Goldman vit sa judéité de manière opposée à son avocat Georges Kiejman, lui aussi juif. Car là où Goldman fait de son identité le moteur de sa vie, Kiejman s’en déleste pour accéder à un rationalisme universaliste et abstrait. Ainsi, le véritable prodige du film réside dans le fait qu’il laisse exister différentes modalités de parole: les subjectivités, les biographies, et même les histoires collectives se télescopent dans ce tourbillon langagier vertigineux.

Tobias Sarrasin

Appréciations

Nom Notes
Tobias Sarrasin 17
Marvin Ancian 16
Kevin Pereira 16