Interdit aux chiens et aux Italiens

Un jour, à l’ombre du Mont Viso, la famille Ughetto a quitté par misère ses terres piémontaises escarpées. Traversant les guerres et frontières de part en part les Alpes italiennes au rythme des chantiers de travaux publics; la mémoire du clan se voit ravivée par Alain, 2e génération d’Ughetto. Celui-ci donne corps et âme au mythe familial dans ce mélancolique long métrage d’animation, au titre équivoque.

Badigeonnant de colle blanche des maquettes en carton, Alain, 70 ans, se rappelle sa grand-mère Cesira lui racontant l’épopée de sa vie tumultueuse au début du 20e siècle. Un récit fait de voyage, d’anecdote, d’histoires magnifiées ou non, adoucies par les sentiments aussi bien que par le devoir de transmission. De ces souvenirs racontés avec passion naîtra chez le réalisateur le désir de sceller cette mémoire en images. Puisqu’il ne reste plus rien des Ughetto à Ughettera, leur hameau d’origine, Alain confectionnera un univers poétique en papier et charbon mêlant objets trouvés, sucre en morceaux et marionnettes vêtues de chiffons. Le film se présente en une conversation intimiste entre une Cesira occupée dans sa cuisine, fidèle aux souvenirs du réalisateur et lui-même, posant des questions tel un enfant avide d’histoire fantastique. Du Piémont à la France en passant par le tunnel suisse du Simplon, la vie des Ughetto suivra les besoins de main-d’œuvre en pays frontaliers. Au gré des naissances au même titre que des décès, des guerres et des événements, s’ouvre l’aventure d’un passé pour lequel l’Histoire avec un H n’a pas beaucoup de considération: celle des migrants qu’on croirait invisibles sans qu’ils aient besoin de se cacher.

Xénophobie, rejet, exploitation, nationalisme et dictature sont autant de thématiques sociétales abordées avec une honnêteté crue, déconcertante. Interdit aux chiens et aux Italiens arbore un discours éloquent sous la forme d’un témoignage arrangé, partagé par des milliers d’autres familles contraintes au départ.