Le Ciel Rouge

Affiche Le Ciel Rouge
Réalisé par Christian Petzold
Titre original Roter Himmeé
Pays de production Allemagne
Année 2023
Durée
Genre Romance, Drame
Distributeur FilmCoopi
Acteurs Thomas Schubert, Paula Beer, Enno Trebs, Langston Uibel
Age légal 12 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 905

Critique

Deux amis, Léon et Félix, se rendent dans une maison de vacances en bord de mer Baltique. Ils y trouveront une présence mystérieuse, celle de Nadia, au départ invisible, puis pièce maîtresse de ce théâtre social au grand air. 

 

D’emblée, le film est très rohmérien par la construction de sa mise en scène minimale : on pense tout de suite à « Pauline à la plage » et l’utilisation de ce fantasme des vacances d’été, le temps de tous les possibles, et de l’insouciance qui s’en dégage. Mais là où Rohmer caricature ses personnages dans une forme bourgeoise, Petzold les déconstruit en ne cessant de brouiller les pistes. Ces deux amis le sont-ils vraiment (et cette embrassade interrogatrice en début de film) ? Ce sauveteur en mer, David, sortant nu de la chambre de Nadia en caricature machiste cache-t-il une autre forme de sexualité ? Tout comme celle de Félix, cet homme libre et sauvage qui ne s’impose aucune norme de travail (il repousse sans cesse son projet artistique) et laisse libre cours à ses désirs. Ou encore Nadia, fantasmée puis sexualisée par Léon qui l’imagine frivole et idiote, elle qui s’avérera bien plus que cela. L’ensemble forme une valse sociale, poreuse, rabattant les cartes d’une hiérarchie sociale prétendue (la vendeuse de glace se transformant en doctorante, l’étudiant en artiste, le maître-nageur en philosophe).


La liberté de vivre (la nage, le sexe, le jeu) du trio Félix, Nadia et David s’oppose alors à l’aigreur rabat-joie de Léon, petit être à la posture avachie, flan sur pattes persuadé de son génie (d’écrivain, en pleine finalisation de son roman), aveuglé par sa prétention, noyé (même s’il refusera systématiquement de se baigner) dans la médiocrité : en effet, l’on comprend rapidement le fiasco de son projet littéraire. Il ne cesse de rabâcher le mot « travail », cette valeur de droite qui isole, automatise et inhibe la pensée créative. Il n’écrit rien, s’endort partout (métaphore de la fatigue du labeur forcé) pendant que Félix lui enclenche son projet d’étude pour sa future entrée aux Beaux-Arts, une idée germe de son regard naïf (des portraits de dos face mer), se déploie par l’échange d’idée (avec David et Nadia) et sa matérialise auprès de l’éditeur de Léon, Helmut. Son regard se portant bien plus sur les photographies de Félix que le livre raté de Léon, la jalousie flambe. Et aveuglé de sa haine qui l’isole et l’enfonce dans des diatribes pathétiques, Léon n’arrive plus à lire les enjeux qui se jouent sous ses yeux : la grave maladie de Helmut, le feu gagnant la forêt et les cendres tombant du ciel, le bleu de la mer transformé en la rougeur incandescente des flammes, la fin est proche, la mort rôde (le corps de cette bête calcinée gisante en présage) et lui ne cesse de geindre son malheur.


Petzold livre un film à l’analyse sociale brillante, qui interroge notre rapport à l’autre et cette quête capitaliste de la réussite à tout prix phagocytant souvent l’essentiel, l’échange et le partage. Le Ciel Rouge remue l’obscur de nos personnalités (jalousie, autosuffisance, narcissisme) et se présente en film-témoin de la petitesse universelle. On pourrait reprocher à Petzold cette maladroite tentative de coup de théâtre dans le dernier quart d’heure pour émouvoir, une absence de jusqu’au-boutisme à la Ceylan (notamment avec l’antipathique personnage de Semet dans son dernier film « Les herbes sèches ») avec cette réconciliation bien inutile en conclusion. Mais qu’importe, Petzold a su saisir à feu vif les dérives morales de notre temps, le nombrilisme de l’Homme qui voit sa Terre brûlée, et dont sa seule réaction est bien de pointer le fautif (« l’autre ») au lieu de se considérer comme le problème.

Pierig Leray

Appréciations

Nom Notes
Pierig Leray 15