Anatomie d’une chute

Affiche Anatomie d’une chute
Réalisé par Justine Triet
Titre original Anatomie d’une chute
Pays de production France
Année 2023
Durée
Genre Drame policier
Distributeur Filmcoopi
Acteurs Swann Arlaud, Samuel Theis, Sandra Hüller, Antoine Reinartz, Milo Machado Graner
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 904

Critique

Lauréat de la Palme d’or au Festival de Cannes 2023, Anatomie d’une chute frappe par l’amertume insidieuse qu’il déploie.

Entre les murs du chalet familial juché dans l’adret savoyard, la vie d’un couple d’écrivains s’effiloche. Elle (Sandra Hüller) connaissant le succès, lui (Samuel Theis) sombrant dans la frustration sur fond de musique en boucle, les deux se tirent la bourre puis se réconcilient quelques fois avec discrétion. Un matin au retour de sa balade, leur fils Daniel (Milo Machado Graner), 11 ans, retrouve son père inerte sur le parvis de la résidence, la tête ensanglantée contre la neige. Samuel aurait-il basculé accidentellement par-dessus la rambarde pendant qu’il travaillait sur la mansarde, ou quelqu’un(e) l’y aurait précipité? Ici débute l’examen d’une histoire intime, d’une fausse histoire de mœurs face aux préjugés de la société. Du calme semi-paisible en altitude à l’enclos oppressif d’un tribunal d’assises, ainsi se construit avec une glaçante précision l’inquisition d’un fait divers: celui du portrait coupable ou non que la justice voudrait bien dresser de Sandra Voyter, écrivaine prolifique ayant quitté «son trou natal en Allemagne pour rejoindre son trou à lui en France». A-t-elle pressé la mort physique, la mort intellectuelle de son compagnon par orgueil, par déni? Sans se mentir, ce n’est pas le sujet forcément voyeuriste que ce film illumine, mais plutôt une affaire de tissage d’opinions entre le spectacle de la situation, l’audience et l’écriture ultra-fine qu’Anatomie d’une chute concrétise. Matérialisant la puissance du cinéma où sa forme questionne les mécanismes de la fabrique d’influence qui passe par un regard encadré, pénétrant et incarné par cette image si singulière parfois scrutant le sujet tel un juge implacable, l’encerclant en 180° pour mieux le suspecter ou se lover au creux de son cou pour l’étreindre, compatir à sa peine et le consoler. Une narration également traversée par l’autre force indiscutable de ce long métrage qui réside dans l’alchimie du casting faisant serpenter le pouvoir de convaincre entre l’honnêteté juvénile de Daniel, le magnétisme expansif de Sandra, et l’aura renardesque de son avocat (Swann Arlaud) jusqu’au sein de la cour. Un tribunal lui-même marqué d’une mémorable justesse par l’éloquence de l’avocat général (Antoine Reinartz) et par l’incarnation magistrale de la présidente (Anne Rotger). Tous tentent de chasser puis d’invoquer le fantôme de Samuel sous couvert de vérité aussi abstraite que réaliste, puisqu’il faut bien laisser l’institution décider des fausses ou vraies pistes qu’on jettera en pâture à l’attention de tous sur la place publique ou d’empoisonner le jugement en manipulant les termes pour donner d’autres sens aux mots prononcés.

Un film de procès donc, dont la réalisatrice française Justine Triet, artiste peintre de formation, est une habituée. Affûtant ses armes avec Victoria sélectionné à Cannes en 2016 mettant en scène la chute de l’héroïne éponyme, avocate en pleine rupture existentialiste pendant l’exercice de ses fonctions; antérieurement avec une série de documentaires de 2006 à 2010 traduisant une réelle conscience des relations humaines sous le prisme de la communauté: Sur place tourné pendant le mouvement social contre le projet de contrat première embauche (CPE) en 2006, complété par un montage distancié pour ouvrir une réflexion sur la théâtralisation du réel et de questionner la place de l’individu au sein du groupe. Solférino pendant la campagne présidentielle de 2007 avec une caméra perdue dans un océan de militant, chaotiquement organisé. Ces premières expériences préparent son premier long métrage La Bataille de Solférino, première fiction mettant en scène la vie d’une journaliste en pleine couverture des élections de 2012, déstabilisée lorsque ses vies personnelles et privées s’enraillent dans un bordel de situations épuisantes. Dans ce dernier titre, les personnages se retrouvent dépecés par l’organe judiciaire, sous couvert de vérité.

Logique que l’aboutissement d’un tel travail tend vers ce qu’on pourrait assurément qualifier de nouveau réalisme social, traduisant la véhémence du sentiment plus que de la puissance émotionnelle, signant l’établissement d’un style à part entière au sein de la scène cinématographique française.

Emilie Fradella

Appréciations

Nom Notes
Emilie Fradella 18
Sabrina Schwob 17
Pierig Leray 18
Fanny Lamoureux 18