Sois belle et tais-toi !

À l’occasion de sa restauration par la BnF – en collaboration avec le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir –, le documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! est ressorti dans les salles de cinéma en février 2023, presque cinquante ans après son tournage. Un film précurseur, donnant la parole à 23 actrices qui témoignent de leurs expériences dans un monde du cinéma dominé par les hommes. 

Surtout connue pour sa carrière d’actrice, Delphine Seyrig a également été une figure majeure du militantisme féministe dans les années 1970. En compagnie de Carole Roussopoulos et Iona Wieder, avec qui elle forme le collectif féministe « Les Insoumuses », elle réalise le célèbre documentaire Sois belle et tais-toi ! Le projet de Delphine Seyrig consiste à saisir “sur le vif” à l’aide d’une technique de vidéo légère les réponses d’actrices américaines et françaises interrogées entre 1975 et 1976 quant à leur place au sein de l’industrie du cinéma. Celles-ci portent un regard lucide sur leur condition, en faisant part des problèmes auxquels elles sont confrontées quotidiennement : elles sont contraintes de jouer des rôles stéréotypés – et souvent secondaires – et doivent se soumettre à des normes de beautés dictées par un regard masculin. Les différents témoignages, qui font écho au concept de « male gaze » développé par Laura Mulvey dans son essai « Plaisir visuel et cinéma narratif » publié en 1975, remettent ainsi en question la représentation des figures féminines dans le cinéma dominant – bien souvent réduites au statut d’objet de désir ou de femme au foyer.

Les entretiens nous sont livrés par des plans fixes de plusieurs minutes qui permettent de mettre l’accent sur les propos des actrices. Celles-ci s’expriment librement, sans préparation, la plupart de temps chez elles, presque sans maquillage, souvent en train de fumer – une représentation qui tranche avec l’image idéalisée de la femme véhiculée dans les films.

Se dégage de la succession d’entretiens un discours collectif : on comprend en effet très vite que toutes ces actrices partagent une même expérience. Esthétiquement très sobre pour donner plus de poids aux paroles – ce qui peut lasser au bout de deux heures… –, ce documentaire présente une valeur testimoniale indéniable : il pointe du doigt les discriminations sexistes au sein d’un système de production jusqu’alors très peu remis en question. Cette dénonciation anticipe tous les mouvements qui ont suivi, jusqu’à #MeToo en 2017. Même si l’on peut se réjouir de certains changements qui sont survenus depuis la sortie du film, le sujet reste d’actualité.