Toute la beauté et le sang versé

Affiche Toute la beauté et le sang versé
Réalisé par Laura Poitras
Titre original All the Beauty and the Bloodshed
Pays de production USA
Année 2022
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Filmcoopi
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 899

Critique

Auréolé du Lion d’or de la Mostra de Venise 2022, le dernier documentaire de la cinéaste américaine est un portrait intimiste de l’artiste Nan Goldin, d’une splendeur tourmentée. Toute la beauté et le sang versé est une immersion dans un univers façonné par la mort, la subversion identitaire, l’addiction aux drogues et le sexe. Le film est également une démonstration remarquablement bien construite du rapport intrinsèque entre art vie et politique dans les œuvres de la photographe, et dont le militantisme indéfectible met en lumière la beauté et la souffrance trop souvent tues des diverses communautés stigmatisées. 

 

En mars 2018, face au temple égyptien de Dendur, dans l’ancienne aile Sackler du Metropolitan Museum of Art de New York, Nan Goldin et les membres de son groupe activiste PAIN (Painkiller Addiction Intervention Now) scandent les slogans « les Sackler mentent, des milliers de personnes meurent…les Sackler savaient que leurs pilules tuaient », et performent un die-in, imitant ainsi des corps morts gisant au sol. Partant de cette séquence liminaire, le film entrelace le passé, la carrière artistique et les interventions militantes de la photographe internationalement reconnue. Son activisme débute durant la pandémie du sida, avec ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power) et se poursuit avec l’épidémie d’opioïdes, dont Purdue Pharma est tenu responsable. Personnellement touchée et miraculeusement sauvée de son addiction à l’antidouleur OxyContin, Nan Goldin, forte de sa notoriété, lutte auprès de prestigieux musées contre le artwashing[1] des Sackler. Ceux-ci, propriétaires de Purdue et fabricants de cet opiacé ayant causé la mort de plus 500’00 individus, s’achètent, avec l’argent sale issu de l’industrie pharmaceutique, une image publique de généreux mécènes du monde l’art.

Entre stase et mouvement, le très émouvant documentaire de Laura Poitras se déploie dans l’alternance de deux pistes narratives : la première, avec les archives photographiques et filmiques, et les séries de diapositives de l’artiste (notamment celle aux accents brechtiens, The Ballad of Sexual Dependency, 1983-2022, ou The Other Side, 1992-2021), et la seconde, avec les séquences d’activisme mené par PAIN. Pourtant, Toute la beauté et le sang versé est aussi un récit qui se referme sur lui-même. Divisé en six chapitres distincts mais étroitement liés, dont le premier et le dernier se répondent. En effet, tout commence et se termine avec Barbara la sœur aînée et les secrets d’une famille américaine dysfonctionnelle. Des notes de Cold Song (1691) d’Henry Purcell, d’une citation du roman Heart of Darkness (1899) de Joseph Conrad, d’une tache symétrique de Rorschach, aux diaporamas cinématiques (véritables dispositifs mémoriels) et confidences de Nan Goldin, jaillissent le grand désespoir de l’artiste et la banalité crue mais sublimée de toute une frange marginalisée de la société. De ce fait, les appareils Polaroïd et argentique offrent à Nan la vocation de révéler les inégalités sociales, les stigmas, la beauté et le sang versé des personnes rencontrées dans les scènes culturelles de l’underground bostonien, new-yorkais ou londonien des années 1970 à nos jours. Avec ce film, les regards politiques de Laura Poitras et de Nan Goldin deviennent des miroirs scintillants qui reflètent également « la logique sans merci » et « le dessein futile » de nos vies.


[1] Désigne l'utilisation, par une entreprise privée, de la philanthropie et des arts pour améliorer sa réputation (ndlr).

Kim Figuerola

Appréciations

Nom Notes
Kim Figuerola 17