Tár

Affiche Tár
Réalisé par Todd Field
Titre original Tár
Pays de production USA
Année 2022
Durée
Musique Hildur Guðnadóttir
Genre Drame
Distributeur Universal
Acteurs Cate Blanchett, Nina Hoss, Noémie Merlant
Age légal 12 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 893

Critique

Derrière ce portrait d’une star de la musique classique se cache une intrigante histoire de fantôme qui questionne la nature du pouvoir. Virtuose, surprenant et fascinant. 

Musicienne, compositrice, cheffe d’orchestre et écrivaine, Lydia Tár (Cate Blanchett) est au sommet de sa carrière. Son œuvre est reconnue tant par la critique que par le public. Pourtant, alors qu’elle s’apprête à diriger la cinquième symphonie de Mahler, son monde se craquelle petit à petit.

Quelle sorte de monstre faut-il être pour parvenir au succès et à la gloire dans le show-business ? C’est en substance la question que se pose Todd Field dans son troisième long-métrage (en près de trente ans de carrière). Pour répondre à cette interrogation, il a créé ce personnage captivant de Lydia Tár. Elle est forte, douée, sensible, mais aussi manipulatrice et prête à tout pour rester sous la lumière des projecteurs. C’est donc un personnage complexe admirablement porté par Cate Blanchett. Ses efforts pour apprendre la direction d’orchestre, le piano et l’allemand la rendent parfaitement crédible dans ce rôle de génie de la musique et son prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise n’a pas été volé. Son talent nous permet d’adopter sans trop de difficultés le point de vue de Lydia qui n’est pourtant guère aimable. En plus de disposer de cette interprète formidable, Todd Field opte pour une approche fantastique afin de nous plonger dans la psyché de ce « monstre » et transforme ce qui n’aurait pu être qu’un portrait de goldengirl en histoire de fantômes. Tár est en effet hantée par des bruits, des signes ou des visions qui viennent lui rappeler ses facettes obscures qu’elle s’efforce de cacher au monde extérieur. En entremêlant la réalité et le fantastique dans une démarche qui rappelle le travail de David Lynch, le réalisateur parvient à parfaitement retranscrire les fêlures de la réalité de son héroïne. Ajoutez à ceci un rythme et un montage désarçonnant, un travail minutieux sur le sound design, la bande sonore originale et le choix des pièces musicales et vous pouvez être complètement happé dans cette histoire singulière.

Tár est bien plus qu’un simple « faux biopic ». Comme dans ses deux autres films Little Children (2006) et In the Bedroom (2001), Todd field utilise ses personnages pour questionner le regard et le jugement moral de la société. La position qu’occupe Tár est le résultat d’une intense lutte de pouvoir et donc la plupart de ses relations s’établissent sur un mode transactionnel. Pour le réalisateur, c’est l’opportunité de scruter la construction de ces hiérarchies et les rapports humains dans un milieu si compétitif. Il contextualise intelligemment Lydia dans la vague #MeToo qui avait déferlé sur le monde de la musique classique, éclaboussant au passage des grands chefs d’orchestre tels que James Levine, Charles Dutoit ou encore Daniele Gatti. Todd Field pousse même le curseur assez loin en tissant des liens entre la Cancel culture qui frappe le monde du showbiz et l’entreprise de dénazification de la musique classique allemande après 1945. Dans l’œil du cyclone, Lydia Tár permet d’interroger sans trancher ces mouvements sociaux.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film qui aborde une quantité de pistes, sans forcément toutes les résoudre. À l’image de celle d’un film de P.T Anderson, la maestria poseuse de Tár peut parfois énerver, tant elle frise la prétention. Cependant, force est de reconnaître qu’elle est au service d’une richesse formelle et thématique qui ne cesse de surprendre et d’intriguer au fil de ses 2h38 (!). C’est un film généreux, pas si exigeant, au carrefour des cinémas de Stanley Kubrick, David Lynch et… Apichaptong Weerasethakul. On aurait donc tort de se priver de cette proposition à l’ambition symphonique qui détonne dans la programmation habituelle de nos salles obscures.

Blaise Petitpierre

Appréciations

Nom Notes
Blaise Petitpierre 16