Pacifiction - Tourment sur les îles

Affiche Pacifiction - Tourment sur les îles
Réalisé par Albert Serra
Titre original Pacifiction
Pays de production France, Espagne, Portugal, Allemagne
Année 2022
Durée
Genre Drame, Espionnage
Distributeur Sister Distribution
Acteurs Benoît Magimel, Sergi López, Marc Susini, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun, Alexandre Melo
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 891

Critique

La gueule cassée de Magimel dessine les traits du haut-commissaire De Roller, magnanime personnage au relent colonial installé en Polynésie française qui voit peu à peu affaiblir son influence depuis l’arrivée de marins de métropole réveillant de vieux démons (les essais nucléaires à Tahiti) où de la rumeur accouchera une nouvelle réalité paranoïde.

                            

De Roller d’abord, rien que la sonorité du nom évoque sa complexité, petit escroc au compliment facile, autant fascinant que détestable, aux grands airs coloniaux en costume blanc cassé, tour à tour véreux trafiquant dans les bas-fonds crasseux du Paradise (la discothèque qu’il semble gérer), et politicard manipulateur tentant de contrôler la gronde qui rôde. Magimel y joue son rôle le plus fort, sommet charismatique, fou parmi les fous, scrutant les eaux à la recherche d’un sous-marin nucléaire d’une crise paranoïaque pour parvenir l’instant d’après à une lueur de singularité consciente (par ce sublime monologue en voiture comparant la politique au monde de la nuit), symbole d’un homme dépassé par son temps, ironique imaginaire d’un acteur que l’on pensait perdu.

                   

Et puis des seconds rôles lynchiens: la superbe Shannah en œil de Judas (Pahoa Mahagafanau), l’étrangeté de cet Américain aux lunettes fumées et au brushing parfait, le nouveau chef de la rébellion Matahi et son faciès figé dans la cire, contribuant à l’atmosphère déroutante et à la beauté sidérante du film, rêve nauséabond, photographie magistrale où les visages finissent cachés par l’obscurité de la piste de danse, où De Roller, marins de l’apocalypse et autochtones s’entremêlent, unifiés par une même folie destructrice, accordés par le silence de l’inéducable (et cette merveille de scène avant-coureuse de fin du monde d’une DJ dénudée face aux manigances mutiques).

                   

Même si l’on peut louer à Serra une anticipation stupéfiante dans le contexte géopolitique actuel, il serait erreur d’afficher Pacifiction dans le questionnement de tels enjeux (nucléaires). Bien au contraire, l’objet indistinct du film brouille toute linéarité scénaristique pompeuse. Serra additionne les seconds rôles vaporeux pour brouiller les pistes entre le réel et l’imaginaire, le conscient du subconscient, et mise tout sur la carte de l’esthétisme - généreuse donation absolue d’un cinéaste qui ne touche plus terre. Chaque plan est un dessin du sublime, la photographie grandiloquente des extérieurs (on pense à cette scène faramineuse de surf en pleine mer) s’effondre dans l’intime du sombre: il n’y a plus de limites, jusqu’à cette fin euphorisante d’un monde qui s’effondre, jusqu’au-boutisme dans les rires hagards de marins face à leur propre destruction. Tout comme un Albert Serra qui semble à peine conscient du chef-d’œuvre qu’il vient d’édifier.

                                   

    

Pierig Leray

Appréciations

Nom Notes
Pierig Leray 19
Anthony Bekirov 18