Don Juan

Affiche Don Juan
Réalisé par Serge Bozon
Titre original Don Juan
Pays de production France
Année 2022
Durée
Musique Benjamin Esdraffo, Mehdi Zannad, Laurent Talon
Genre Comédie musicale, Comédie dramatique
Distributeur City-Club de Pully
Acteurs Virginie Efira, Tahar Rahim, Damien Chapelle, Jehnny Beth, Alain Chamfort, Louise Ribiere
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 887

Critique

Tandis que l'on fête cette année le 400e anniversaire de la naissance de Molière, Serge Bozon signe une comédie musicale féministe de Don Juan. Loin de l'image classique du personnage, on est face à celle d'un homme fragilisé, abandonné par la femme aimée – qui le marque d'une obsession –, et, surtout, qui ne séduit plus. 

 

À la mairie, Laurent, comédien, attend sa fiancée, Julie, pour leur cérémonie de mariage. L'ouverture du Don Giovanni de Mozart accompagne l'attente, entrecoupée par un téléphone qui, en vibrant, laisse présager un couac. En effet, Julie plantera Laurent le jour du mariage, après avoir été spectatrice du regard insistant de ce dernier sur une femme dans la rue. Mais ils se retrouveront plus tard, en tant que partenaires de jeu, lui pour incarner Dom Juan dans la célèbre pièce de Molière, elle, Elvire – que le protagoniste de la pièce, on s'en souvient, parvient à sortir du couvent en lui promettant le mariage, avant de fuir vers d'autres conquêtes féminines.

À ce stade déjà des jeux d'adaptations et de transpositions s'expriment. Julie est celle qui part, Laurent celui qu'on délaisse. Il cherchera alors à posséder chaque femme qui lui rappelle celle qu'il pense aimer et qui lui a appris à observer, à aimer vivre. Mais au contraire du protagoniste du XVIIe, pour y parvenir, Laurent n'enjôle personne. Dans Dom Juan, le personnage principal ne se définit que par le langage, instrument ultime de séduction, et qui n'a aucune prétention à correspondre à une réalité quelconque, seulement à retenir l'autre dans les mailles d'un filet. Le langage chez Laurent est à ce titre plus sincère. Par le chant, il signale son désir de posséder ce dont il a été amputé: le fait « d'être en vie », dira-t-il. Tel un vampire, il cherche à pomper l'énergie joviale de l'autre. Gestes et mots se révèlent alors brutaux, sans ornement… et sans efficacité – à une exception près.

Aucun plaisir de la conquête donc, seulement une obsession à calmer en remplaçant, passagèrement, l'aimée par son double. Aliéné, il l'est dans la vie comme sur scène. Les actes sont inconséquents, l'autre sans consistance, et ce même Julie, lorsqu'elle lui accorde une deuxième chance. Cette dernière, en tant que spectatrice du regard concupiscent de Laurent, a cette conscience qu'il n'a pas de son propre désir. Elle l'observe, il l'éprouve. Comme au théâtre, l'interprétation est dans le regard du spectateur, l'acteur se contente de jouer, sans liberté quant au texte à réciter.

De nombreuses réflexions émergent donc de cette adaptation de Don Juan, notamment en ce qui concerne le rapport entre théâtre et la réalité, le comédien et son personnage. La mise en scène y renvoie incessamment, par des jeux de miroirs, une frontalité théâtrale des décors ou encore une absence de frontière entre la scène et l'extérieur.

Pour parachever ce film original, intelligent et si juste dans les comportements décrits, le casting n'aurait pu être mieux choisi. Virginie Efira, dans la lignée d'En attendant Bojangles, campe son personnage avec une légèreté qui laisse pourtant entrevoir une gravité mélancolique. Quant à Tahar Rahim, il est époustouflant. Une naïveté enfantine se dessine sur son visage peu expressif, tandis qu'il habite son corps avec une forme d'étrangeté, le rendant malléable, sans fermeté, ridicule.

Avec Don Juan, certainement le meilleur film de son auteur, Serge Bozon et Axelle Ropert, coscénariste de chacun des films de celui-ci, transposent à merveille cet anti-héros à l'ère post#MetToo, en témoigne une danse finale de femmes, lors d'un autre mariage, qui cherche à exorciser le démon donjuanesque. La pièce de Molière est certes revisitée, elle n'en demeure pas moins source d'interprétations originales quant à l'indifférence à l'autre ainsi qu'au désir de multiplication des conquêtes.





Sabrina Schwob

Appréciations

Nom Notes
Sabrina Schwob 18