White Building

Affiche White Building
Réalisé par Kavich Neang
Titre original Bodeng Sar
Pays de production Cambodge, France, Chine, Qatar
Année 2020
Durée
Musique Jean-Charles Bastion
Genre Drame
Distributeur Trigon film
Acteurs Piseth Chhun, Sithan Hout, Sokha Uk, Chinnaro Soem, Sovann Tho, Jany Min
N° cinéfeuilles 881

Critique

Premier long métrage de Kavich Neang, réalisateur trentenaire d’ascendance cambodgienne, White Building s’avère épatant. Servi par un rythme lent, parfois contemplatif, qui tranche avec la globalisation galopante dans laquelle Phnom Penh, capitale du Cambodge, est prise, ce coup d’essai articule critique sociale et quête initiatique.

Le film est composé de trois parties distinctes, une introduction, un épilogue et la partie principale, qui se concentre sur la démolition inévitable d’une barre d’immeuble, le «White Building», édifice au cœur de la capitale, centre d’accueil historique de la population du pays. S’il y a un aspect documentaire indéniable dans la manière de présenter le sujet, le scénario n’en demeure pas moins pourvu d’ambition politique: l’immeuble est voué à la destruction après le rachat des terrains par une compagnie hongkongaise qui désire y construire un majestueux casino. C’est le capitalisme mondialisé, responsable de ces villes qu’on rase, de ces vies qu’on arrache qui est ici visé. Des vies arrachées, détruites d’abord par l’ère des khmers rouges, détruites ensuite par ce rachat qui contraint au déménagement, pire, au déracinement. Et, comme souvent, fait comme si la décision revenait aux plus démunis, on fait croire qu’ils bénéficient du confort de choisir leur sort: soit ils acceptent une modique somme en contrepartie de leur déménagement forcé, montant qui ne leur permet de vivre nulle part ailleurs dans la capitale et bien trop insuffisant pour racheter un bien à la campagne; soit ils refusent au risque de se voir chasser de force, sous la menace des camions et des fusils, sans toucher un centime. On le voit bien, donc, la démolition inévitable de leur bâtiment sonne de manière assourdissante la disparition de toute forme d’espoir tout comme elle concrétise d’un même mouvement la mécanique galopante dans laquelle l’entièreté du Cambodge est prise. Et - à force! -, la chanson est connue: en miroitant un progrès libérateur, on accélère d’autant plus la boucle liberticide dont la cadence, aliénante et intenable, dérègle complètement le fonctionnement d’un pays qui ne marche plus très droit, à l’image de ce père, unijambiste, qui n’a finalement d’autre choix que celui de se séparer de son fils.

Cette fracture filiale, bien qu’entraînant son lot d’émotions, est surtout représentative, selon nous, de ce qui se joue au cœur même de l’écriture du film: elle rend matérielle l’opposition entre les générations, entre ceux qui se résignent, sans doute fatigués, éreintés, de la dureté propre à cette jungle immobilière, et ceux qui rêvent en faisant de leur songe la matière même de leur résistance. C’est le cas de Samnang (Piseth Chhun), personnage focal du long métrage, dont la candeur tranche avec la résilience mutique de ses aînés. On touche là précisément à la différence majeure qui sépare ceux qui pourtant vivent ensemble: alors que certains se murent dans le silence, signe ostensible de l’acceptation face à ce verrouillage social dont ils sont les premières victimes, et ceux qui osent remettre en question, par la parole, les certitudes qu’on est plus en mesure d’ébranler. La démolition du «White Building» ne se donne dès lors plus exclusivement sur le mode de la tragédie: pour cette jeunesse nourrie de rêves et d’aspirations, elle signifie peut-être le passage d’un état de fait à un autre: à l’image de Samnang, 20 ans, dont le passage à l’âge adulte doit se payer par les adieux à sa résidence (et résilience!) d’enfant. C’est probablement ainsi qu’il faut lire le dénouement du film, construit comme un écho positif à son ouverture: tandis que le long métrage s’ouvre avec un beau travelling aérien qui balaie les toits de l’édifice - signe sans doute de son écrasement imminent - on décide à l’inverse de laisser sa démolition au stade d’image manquante, disparue dans une ellipse, de sorte à dire que la fatalité n’est pas encore tout à fait actée.


Kevin Pereira

Appréciations

Nom Notes
Kevin Pereira 15