Travail au noir

Affiche Travail au noir
Réalisé par Ulrich Grossenbacher
Titre original Schwarzarbeit
Pays de production SUISSE
Année 2022
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Fair & Ugly
Age légal 6 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 879

Critique

Ulrich Grossenbacher (Messie, ein schönes Chaos, 2011 et Hippie Masala, 2006) suit des inspecteurs·rices caméra au poing dans leurs déplacements à travers le canton de Berne. Leur mission: faire respecter le droit du travail. En face, des employés, parfois soumis à des conditions indignes, et inimaginables. Ce film à la facture formelle efficace mérite d’être vu car il donne à voir - et à réfléchir.

Une succession des séquences captées sur le vif, autant de vignettes diverses et complexes constituent la matière première de ce road movie documentaire. La fraude, mais aussi la misère sociale, celles des exploités, voilà à quoi le spectateur est confronté. C’est à travers le regard des inspecteurs·rices, qui œuvrent au plus près de Ceux qui travaillent, que ces situations nous sont données à voir. Ils remplissent une tâche qui semble aussi indispensable que, sans fin. La libre circulation des personnes dans l’espace Schengen, c’est aussi la concurrence sauvage de tous contre tous sur le marché du travail, avec pour conséquence une difficulté accrue pour les pouvoirs publics de faire respecter les règles qui visent à protéger les travailleurs. 

Les inspecteurs·rices, sont avant tout montrés comme humains, lorsqu’ils font preuve d’empathie, de patience, mais encore d’énervement et perdent leur sang-froid face à des individus peu coopératifs, souvent effrayés de faire l’objet d’un contrôle dans une langue mal maîtrisée.

C’est d’abord à travers la diversité de manières d’incarner ce rôle, mais aussi, et surtout de le concevoir que le spectateur est engagé à réfléchir. Autrement dit, à la manière dont ces personnages sont chacun à leur manière, comme le dit Fredy: «Un rouage de l’État-providence». Ses postures réflexives assez ouvertement idéologiques nous entraînent rapidement sur le second plan sur lequel se joue le film: celui du débat politique. Les meetings de plusieurs bords, ou encore les extraits de l’émission Arena - équivalent alémanique de notre Infrarouge romand - sont agencés à la manière d’un thriller politique. Le tout, en trois langues, ce qui sait ménager un certain suspense.

Ces fils habilement tissés nous mènent de la question du dumping salarial dans le contexte Schengen, au vieux serpent de mer de la politique confédérale qu’est la politique migratoire. Cette dernière fait l’objet de polémiques depuis les années 1970 avec les initiatives Schwarzenbach. Il est d’ailleurs question, au détour d’un échange entre Fredy et sa collègue Regula, du «fameux» statut de saisonnier. C’est justement autour de la figure du travailleur immigré, bouc émissaire pour les uns, et victime absolue pour les autres, que se cristallisent les divergences, et les luttes. 

Une des limites du film est peut-être qu’à vouloir suivre cinq personnages, l’attention du spectateur se disperse, et le propos se dilue. Il aurait sans doute gagné, notamment sur le plan du rythme en centrant sa construction sur un seul binôme d’inspecteurs·rices. Néanmoins, le réalisateur a le mérite de proposer une véritable réflexion sur le sens du travail dans le contexte de la «Grande Démission». Au cœur de ces questionnements se trouve la valeur, et le potentiel sens que les individus attribuent au métier qu’ils exercent, par choix, ou par impératif alimentaire.

Noémie Baume

Appréciations

Nom Notes
Noémie Baume 16