Gare centrale

Affiche Gare centrale
Réalisé par Youssef Chahine
Titre original Bab el hadid
Pays de production Egypte
Année 1958
Durée
Musique Fouad El-Zahry
Genre Drame
Distributeur trigon-film
Acteurs Youssef Chahine, Farid Chawki, Hind Rostom, Hassan al Baroudi, Naima Wasfi, Said Khalil
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 863

Critique

Troisième film de Youssef Chahine, Gare centrale raconte l’histoire dramatique de Kenaoui. A travers cet homme misérable, ô combien attachant, il décrit surtout la société qui fourmille dans la gare du Caire.

La gare principale du Caire abonde de travailleurs précaires et de gagne-petit. Un matin, le tenancier d’une buvette trouve Kenawui (Youssef Chahine) roulé en boule sur le quai; il en a pitié, l’installe dans une cahute voisine et l’engage comme vendeur de journaux. Quelques jours plus tard, il constate que son protégé collectionne les photos de starlettes; Kenawui serait-il un frustré? Le fait est que le nouveau vendeur s’éprend de l’une de ces marchandes de boissons qui opèrent clandestinement entre les voies ferrées. Hanuma (Hind Rostom), aguicheuse et délurée, se moque de lui. Elle est fiancée au porteur Abu Siri (Farid Shawqi).

Gare centrale a révélé au monde entier le réalisateur et acteur égyptien Youssef Chahine (1926 - 2008). Au moment du tournage, en 1958, Gamal Abdel Nasser, président de l’Egypte depuis deux ans, y a instauré une république socialiste. Cela se sent dans cette œuvre dont l’un des personnages principaux, Abu Siri, cherche à former un syndicat pour défendre les porteurs. Chahine sera tout de même critiqué pour son point de vue trop favorable aux nécessiteux, mais aussi pour ses personnages féminins provocants; le film sera censuré pendant quelques années avant de s’imposer comme un grand succès public.

«Depuis ce film, j’appartiens aux gens de la gare, au petit peuple d’Égypte», confiait en 1995 le cinéaste au journaliste de Libération, Christophe Ayad. «Il y avait en permanence sept mille personnes et un beau foutoir pendant le tournage. Nous avons employé le vrai personnel de la gare. Le chauffeur de locomotive s’amusait comme un petit fou, il a freiné au dernier moment pour nous faire peur. En quatre semaines de tournage, on n’a interrompu le trafic qu’une seule fois.»

Restauré en 2018, le film rend parfaitement, même par l’intermédiaire d’une plateforme de diffusion, la magnifique compréhension de l’image dont témoigne le cinéaste. Beauté du noir et blanc, pertinence des effets comme les reflets et les jeux d’ombres, justesse dans le choix des plans, tout cela est le fait d’un artiste. Chahine ajoute à son talent formel son empathie pour un monde qu’il a sous les yeux et qu’il considère avec une grande ouverture d’esprit. Les points de vue et les attitudes qu’il évoque sont multiples, politiques comme religieux, fatalistes comme résistants, délurés comme prudes.

Cependant, là où il excelle, c’est dans la composition du personnage de Kenawui que le réalisateur écrit de façon très juste et que l’acteur incarne à merveille. Youssef Chahine creuse la psychologie du malheureux et la met en scène sobrement, par l’expression plutôt que par le geste. Son jeu est sobre aussi; tout est dans le léger frémissement de la lippe, la noirceur du regard qui, par moments, occupe tout l’écran et laisse entrevoir l’effrayante agitation de l’âme.

On chercherait à tort à glisser ce film dans une catégorie. On a parlé de néoréalisme mais il affiche une sorte d’idéalisation qui contredit l’aspect documentaire. De fait, et c’est plus intéressant, il vaut mieux reconnaître, à travers Gare centrale, ce grand esprit qu’a été le cinéaste Youssef Chahine, baigné dès sa naissance dans le cosmopolitisme d’Alexandrie et rappelant aujourd’hui toujours que l’art est universel.

Geneviève Praplan

Appréciations

Nom Notes
Geneviève Praplan 18