Le Tigre blanc

Affiche Le Tigre blanc
Réalisé par Ramin Bahrani
Titre original The White Tiger
Pays de production Inde, U.S.A.
Année 2021
Durée
Musique Saunder Jurriaans, Danny Bensi
Genre Drame, Policier
Distributeur Netflix
Acteurs Priyanka Chopra, Adarsh Gourav, Rajkummar Rao, Mahesh Manjrekar, Perrie Kapernaros, Nalneesh Neel
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 853
Bande annonce (Allociné)

Critique

Adapté du roman éponyme d'Aravind Adiga, Booker Price en 2008, ce film raconte l’ascension sociale d’un gamin, bien décidé à s’en sortir. Ce faisant, il propose un décapant voyage en Inde, aussi comique que tragique, bien loin des miroitements et des chorégraphies de Bollywood.

Slumdog Millionaire de Danny Boyle (2008) et Lion de Garth Davis (2016) avaient déjà permis d’approcher l’Inde contemporaine, en deçà ou au-delà des clichés. Les personnages principaux de ces deux films sillonnaient le pays et en faisaient ressortir les contrastes, conciliant pauvreté extrême et développement high-tech. Toutefois, on perçoit plus encore la réalité indienne en suivant ici le parcours de Balram Halwai, un enfant qui ne voyait son avenir qu’en termes de services, tant il était formaté par toute la société environnante. Il aura bien vite compris la nécessité de se rendre indispensable aux yeux de ses riches maîtres, s’il veut être apprécié et reconnu. Mais le hasard va le contraindre à s’engager sur cette voie plus qu’il ne l’avait imaginé et peut-être plus qu’il n’en aura la force. Cela le mènera-t-il à une mutation profonde? Serait-ce que le tigre blanc qui est en lui - pour reprendre une expression le qualifiant naguère - se réveille?

Lorsque le film commence, Balram est devenu entrepreneur et semble avoir quitté à tout jamais sa condition de serviteur. Que s’est-il passé? Comment l’enfant privé d’école pour aller travailler est-il parvenu à se faire sa place au soleil?… Un long retour en arrière s’impose donc, à partir du village de son enfance où s’organise quotidiennement la survie de la grande famille autour de la grand-mère. Entre mendicité et petits boulots, on y évite tout juste de crever de faim et on évolue dans des lieux infâmes. Bien que sans-le-sou, mais malin et ambitieux, le jeune homme réussit pourtant à devenir le second chauffeur d’Ashok, un riche investisseur et de son épouse Pinky, qui viennent de rentrer des Etats-Unis et se croient prêts à casser les codes - au prix d’une forme d’arrogance - régissant les rapports de castes. Et alors qu’une pseudo proximité s’instaure entre Balram et le jeune couple, tout basculera.

Trois raisons incitent à s’arrêter sur ce Tigre blanc, porté avec force et conviction par un acteur inconnu, Adarsh Gourav, dont on retiendra le nom.

Raison géographique tout d’abord, avec une plongée au cœur de l’Inde, cet immense pays où les écarts sociaux sont abyssaux, accordant aux plus démunis une impression d’invisibilité alors qu’ils sont partout. Ce qui semble acquis, c’est la quasi impossibilité de changer de condition, ou, pour le dire avec les mots de Balram, la faculté «pour une poule de quitter le poulailler». Si vous appartenez à une caste inférieure, inutile d’imaginer s’en sortir. Et même si les discours séducteurs de la «Grande socialiste» qui occupe les fonction de premier ministre font mouche auprès des plus pauvres, les déclarations généreuses ne s’ancrent dans aucune réalité. Conditions villageoises d’un autre siècle, jungle urbaine, luxueux hôtels où se négocient toutes les transactions internationales et se versent les pots-de-vin, larges avenues et pistes de terre battue…, tout cela forme le mille-feuille indien d’aujourd’hui. Et ce n’est qu’en de rares occasions que ces mondes se rencontrent véritablement.

Raison politique ensuite, car une fois le décor posé - qui est ici presque un personnage à part entière -, une réflexion peut suivre. Ainsi, sans en avoir l’air, ce Tigre blanc analyse finement la jungle néolibérale. Il révèle les dérives et les dégâts collatéraux qu’entraîne une course incessante au développement et à l’investissement, dont les plus petits font les frais sans surprise. L’aliénation de soi n’est-elle alors que la seule issue offerte à quiconque veut s’en sortir? S’agit-il inexorablement non seulement de ressembler, mais de devenir semblable à celui qui tire les ficelles et profite de tout ce qui est à sa portée?

Raison humaine enfin, avec bien sûr le personnage de Balram qui permet l’immersion dans ce monde foisonnant. Son parcours n’a rien d’une success story, bien au contraire. Le chauffeur dévoué met beaucoup de temps à prendre conscience de son enfermement, au point que son employeur devra outrepasser largement ses droits pour qu’il réalise sa dépendance. Et la rage intérieure de l’attachant Balram de monter lorsqu’il se voit contraint de porter la responsabilité d’un accident dont il n’est pas fautif. Une colère stimulante et irrépressible ouvre alors un horizon inédit à celui qui se rebelle enfin contre un système truqué et inégalitaire: le naïf et dévoué chauffeur appartiendra désormais au passé, ayant cédé la place à un entrepreneur d’un nouveau genre. Le tigre aura opéré sa mutation, mais à quel prix?

Cette réalisation nerveuse et soignée interroge sur les réelles possibilités, éthiquement défendables, offertes aux plus démunis pour s’en sortir. C’est dire que, sans porter de jugement moralisateur sur son personnage principal, le réalisateur de 99 Homes (2014) livre ici un portrait cruel de la société indienne à l’heure de la mondialisation.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Serge Molla 17