L’Année de la découverte

Affiche L’Année de la découverte
Réalisé par Luis López Carrasco
Titre original El Año Del Descubrimiento
Pays de production ESPAGNE, SUISSE
Année 2020
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Cinéma Spoutnik
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 842

Critique

Raconter l’histoire par les marges: le documentaire fleuve de Luis López Carrasco est une proposition radicale, jusque dans sa forme. Choix de programmation intrépide, donc, de la part du cinéma genevois Spoutnik - mais le film tient-il sa promesse sur la durée?

Du noir profond de l’écran, se détache une voix d’homme. On nous raconte un rêve de retrouvailles et de mort. Apparaît soudain le visage de celui qui parle, l’une des nombreuses rencontres que le film nous offre. Autre noir, autre césure: celle de l’image. Scindant l’espace de l’écran en deux, elle en occupera à partir de ce moment une moitié, puis l’autre, souvent les deux à la fois. La caméra joue d’ailleurs de cette possibilité de point de vue dédoublé, captant toujours des scènes ou des angles différents, parfois décalés seulement de quelques centimètres.

C’est d’abord dans un bar, où converse et converge tout un peuple, que le cinéaste a décidé de s’établir. Il filme en gros plans ceux qu’il interroge, tout comme ceux qui, sur l’image d’à côté, restent silencieux jusqu’à ce que, quelques minutes plus tard, peut-être, ils soient eux-mêmes pris à partie par le réalisateur pour dérouler leur récit. Mais que nous racontent-ils? Les idéaux, les frustrations, les parcours de toute une population, jeune et moins jeune, qui fait l’Espagne d’aujourd’hui.

Ce split screen permet au spectateur de laisser aller son regard et son attention, du vieux sympathisant franquiste qui le dit haut et fort à la cuisinière qui essuie ses plats avec soin, de l’ouvrier sans avenir à l’enseignante songeuse. On capte des gestes, des regards perdus dans un lointain absent du cadre et du temps, on croise des figures pour mieux les retrouver ensuite, avec la joie de reconnaître des êtres qu’on aurait connus. La première partie, qui se fait l’histoire des gens, nous rappelle par cette coprésence du silence et de la parole, que trop souvent on ne tend pas l’oreille dans leur direction, lorsqu’il s’agit de faire marcher le monde.

Mais trois heures, c’est long à habiter et peu à peu, le film s’engage dans une construction plus nette, directive. L’image se réfugie dans une moitié d’écran, laissant l’autre noire, tandis que les propos remontent toujours plus vers l’année 1992, où l’Espagne fête les Jeux Olympiques et l’Exposition universelle de Séville, alors que les villes industrielles sont ravagées par la crise. Le parlement sera finalement mis à feu après des semaines de manifestations: il est temps de convoquer les témoins, syndicats ou ouvriers.

La belle rencontre des voix et des expériences fait alors place à la mise en avant de figures résistantes, d’une génération plus ancienne, plus consciente - c’est ce qu’elle dit - de la politique et de l’importance des luttes. Là où la «découverte» initiale était celle du lien et d’une histoire multiple, dans laquelle le spectateur est libre de s’orienter, de (re)garder ce qu’il veut, la fin du film se précipite vers une reconduction de la parole d’autorité, individualisée, quand bien même ses propos ne sont pas sans intérêt. Dans l’épilogue, les protagonistes rencontrés au début réintègrent la moitié de l’écran mais sans plus rien dire: ils ne peuvent que s’effacer devant ce poids du passé et de l’expérience.

Adèle Morerod

Appréciations

Nom Notes
Adèle Morerod 14