Midnight Traveler

Affiche Midnight Traveler
Réalisé par Hassan Fazili
Titre original Midnight Traveler
Pays de production U.S.A., Qatar, Grande-Bretagne, Canada
Année 2019
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Trigon-film
Acteurs Hassan Fazili
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 833

Critique

Menacé par les talibans, le réalisateur afghan Hassan Fazili décide avec sa femme et ses deux filles de trouver refuge en d’autres contrées. Repoussés toujours ailleurs, d’Iran en Serbie, ils entament alors un périple vers l’Europe. Midnight Traveler est la prise sur le vif de ces années d’exil, mais surtout une œuvre de cinéma, où la beauté ne cesse de transpercer l’image.

Rarement, l’utilisation du téléphone portable comme caméra n’aura été plus fondamentale à un film. Dès les premières scènes du départ, les plans heurtés, les angles de vue décentrés concrétisent un univers sans ancrage, où tout repère spatial est perdu. Durant les 5’600 km qui suivront, c’est aussi le seul moyen de tourner - souvent dans l’urgence - les étapes du «voyage»; lorsque tout ce que l’on possède doit tenir dans deux sacs, impossible de s’encombrer d’un matériel plus conséquent. Cela permet aussi à la fille aînée, ainsi qu’à la femme de Fazili, également réalisatrice, de contribuer au film. Par l’image et par la voix, déposant au creux du récit mené par le père et mari, leurs terreurs, leurs épreuves.

Midnight Traveler n’est pour autant pas un simple «document de migration». C’est un projet, assumé dès le début, monté en cours de route en collaboration avec Emelie Mahdavian, qui résidait alors en Serbie. Une façon de ne pas laisser l’art en dehors de la vie, même lorsque celle-ci prend des détours dramatiques. Ainsi, les éclats de beauté d’un vol d’oiseaux ou de flocons tombant dans la nuit sans fond, arrachés à la fuite et à l’attente, sont comme autant de respiration - pour le cinéaste et pour le spectateur. Toutefois, chercher la mise en scène, l’esthétisation d’un quotidien qui se réinstalle à chaque halte, prêt à être aussitôt déraciné, ne va pas sans troubles. En témoigne plusieurs moments forts du film, dont le plus marquant est sans doute celui où, lancé à la recherche de sa fille Zahra, Hassan Fazili ne peut s’empêcher d’imaginer - jusqu’au pire - ce que la scène donnerait à travers le cadre, ici vide, d’une caméra.

Mais il montre aussi que derrière l’épuisement, le froid, l’immobilisation forcée, derrière les figures sans visages dont la haine déborde du hors champ et celles floues croisées sur le chemin et vite dépassées malgré les gestes de solidarité, derrière tout ce qui fait l’horreur de ces parcours, demeure une possibilité de regarder le monde avec désir.


Depuis l'été dernier, des milliers d’Afghans fuient les talibans. Quelques années plus tôt, d’autres ont fait la même chose. L’un d’eux était cinéaste; il a filmé le périple de sa famille avec des téléphones portables.

Personne n’est à la hauteur de la réalité s’il ne l’a pas vécue: l’exil, la fuite… ici pas loin de trois ans de voyage pendant lesquels l’attente pèse plus que les kilomètres. Hassan Fazili et sa femme Fatima Hussaini sont cinéastes. C’est lui que les talibans recherchent après avoir assassiné le personnage de son documentaire, Peace In Afghanistan, produit par la télévision nationale. Il brossait le portrait d’un commandant taliban pacifique, qui avait renoncé aux armes.

En 2015, la famille Fazili fuit au Tadjikistan; l’asile lui est refusé. Secrètement de retour au pays, elle se prépare à repartir. Hassan, Fatima et leurs deux filles, Nargis et Zahra prennent cette fois la route de l’Iran. De là, ils passeront en Turquie, en Bulgarie, en Serbie où ils attendront des mois l’autorisation d’entrer en Hongrie. De camp en camp, suivant un groupe de migrants, puis un autre, le plus souvent à pied, les Fazili s’habituent à dormir dans la forêt, à subir des attaques, à être traités de «daech». Les petites filles apprennent à parer l’ennui, sans école, sans camarades stables.

Hassan Fazili capte tout. Les téléphones «faciles à utiliser par tous» deviennent des caméras. «En tant que père, les efforts déployés pour protéger les miens des menaces rencontrées me fatiguaient. Mais en tant que cinéaste, j’étais stimulé par ces errances et ces problèmes, alors nous sommes tous devenus le sujet de ce film. J’ai lutté pour le rendre réaliste et passionnant, car je suis parfois un père, parfois un mari, parfois un réalisateur, voire les trois à la fois.» Le film a été terminé avec Emelie Mahdavian, scénariste, monteuse et productrice étasunienne.

Midnight Traveler porte les défauts et les qualités de son genre exceptionnel. Capté au jour le jour, sans équipe de tournage, il se nourrit de ce qu’il trouve et se révèle parfois confus. Pourtant, son point de vue sur l’émigration est exemplaire. De telles histoires ont été tournées avec des acteurs, il en existe même un festival depuis 2016. La singularité de Midnight Traveler est qu’il montre la nature profonde de ce que vivent les réfugiés, la réalité par eux-mêmes. C’est aussi que sa chaleur humaine est remarquable.

Le cinéaste utilise son téléphone en sympathie avec les siens qui s’en amusent, lui parlent, lui sourient. L’interminable voyage accumule les difficultés. Toutes les raisons de se décourager sont présentes et le découragement prévaut plus d’une fois. Cela ne fait pas se désintégrer la famille, son amour résiste, son humour aussi. L’émigration, certes, mais avant tout celle des Fazili qui, plan après plan, devient aux yeux du public de plus en plus attachante. Parce qu’à travers le viseur de son téléphone, le réalisateur trahit constamment la tendresse qu’il porte à sa femme et ses filles.

Le drame qui se prolonge est évoqué avec réserve, jamais de surenchère, jamais un ton de victime. Il n’y a pas de maison, pas de pays, pas d’avenir. Mais Fatima apprend à faire du vélo, Nargis essaie les chaussures qui lui font envie, Zahra danse sur une musique occidentale. On parle du voile, de la religion, avec la légèreté chaleureuse de la confiance. On possède l’immense trésor d’une affection solide et partagée. C’est ce qui fait la beauté de ce film ô combien aléatoire.


Adèle Morerod

Appréciations

Nom Notes
Adèle Morerod 15
Geneviève Praplan 15