Ville Neuve

Affiche Ville Neuve
Réalisé par Félix Dufour-Laperrière
Pays de production Canada
Année 2018
Durée
Genre Animation
Distributeur Bellevaux
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 818

Critique

Avec pour toile de fond l’attente du résultat du référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec, Ville Neuve dépeint les souvenirs et les espoirs (déçus) d’une famille éclatée, qui essaie tant bien que mal de recoller les morceaux.

Film d’animation à l’encre noir sur papier, Ville Neuve est composé d’environ 80’000 dessins, réalisés sur une période de trois ans. Le cinéaste Félix Dufour-Laperrière a d’abord établi, pendant une année, l’iconographie générale de l’œuvre avant qu’une équipe, constituée jusqu’à trente personnes, se joigne à lui.

En plus de la touche artisanale au rendu magnifique, c’est l’harmonie entre la forme et la thématique choisie qui impressionne. Le blanc du papier devient à l’écran l’infinité de possibles qui se présente à l’individu aussi bien que le vide qui l’habite. Autrement dit, une matière en métamorphose constante: du brouillard qui enrobe entièrement les êtres à l’eau maritime en passant par l’espace du souvenir. Aussi incertain et fragile que le dessin, les personnages: Joseph, poète parti s’installer dans une maison bâtie de souvenirs au bord de la mer, son ex-femme, Emma, déterminée à ignorer ses appels, avant de finir par le rejoindre, ou encore leur fils Ulysse, en proie au doute constamment. Si l’univers des protagonistes est par moments abstrait, c’est pour mieux traduire la nébuleuse atmosphère qu’ils traversent, en raison des agitations causées par le référendum, de l’envie de croire en l’éventualité d’un Québec libre quoique craignant que cet espoir ne soit déçu.

La malléabilité et l’imprécision du trait permettent aussi de superposer différentes temporalités: celles du souvenir, du rêve, de la projection ou du présent. Tout comme la gradation du blanc au noir permet une juxtaposition des décors au sein du plan. Confusions du temps et de l’espace rendent l’appréhension du statut de l’image difficile pour le spectateur, retardée du moins et d’abord incertaine. Le montage joue d’ailleurs de cette indétermination. Lors d’une séquence notamment, Emma regarde au loin depuis la baie vitrée de la maison au bord de mer, tandis que Joseph est derrière elle. Un raccord s’effectue. On suppose que le plan qui lui succède montre ce qu’elle voit, autrement dit un homme sur un bateau. Mais il finit par se noyer, sans que l’attitude de cette dernière n’exprime, lorsque le raccord se fait à nouveau sur elle, de réaction vive. Etait-ce une intervention d’un narrateur externe pour illustrer la situation? Un homme non encore introduit dans le récit qui se noie effectivement? Ou l’expression de l’état émotionnel d’Emma? Sans jamais offrir de réponse certaine, des pistes d’interprétation se dessinent pourtant dans la durée, après avoir laissé l’esprit du spectateur confus.

Au doux lyrisme mélancolique du dessin, s’ajoute celui du texte, très élaboré. Si le ton parfois un peu trop prophétique ou solennel des monologues peut décourager d’une écoute attentive, sa beauté nous retient ou nous récupère, particulièrement dans le discours de début et de fin.

Une réflexion s’ouvre aussi sur la fiction, avec entre autres la projection, dans une salle de cinéma, d’Andreï Roublev de Tarkovski (1966) en dessin animé, ou par la séquence finale qui délaisse le résultat historique du référendum pour imaginer ce qui aurait pu advenir en 1995 ou devrait se produire à l’avenir.


Sabrina Schwob

Appréciations

Nom Notes
Sabrina Schwob 19