Dürrenmatt - Une histoire d'amour

Chacun a entendu parler, sinon assisté à une représentation, de La visite de la vieille dame, mais peu connaissent le parcours de cet auteur qui, à  l'aube de ses études, écrit à son père : «Il ne s'agit pas de décider si je vais devenir un artiste ou non, car cela ne se décide pas, on le devient par nécessité. [...] Pour moi, le problème est ailleurs. Dois-je peindre ou écrire ? Je me sens appelé par les deux.» L’écriture finit par le saisir, sans qu’il lâche pour autant le pinceau, comme en témoigne la collection du Centre Dürrenmatt de Neuchâtel qui compte plus de 1000 œuvres originales et plusieurs carnets de dessins. Longtemps, la rumeur courut que l’Académie Nobel, ne pouvant choisir entre Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt, renonçait à couronner l’un au détriment de l’autre.

Aujourd’hui, 25 ans après la disparition de Dürrenmatt, ce film, riche  de documents d’archives radiophoniques et télévisées, revient sur l’homme, l’auteur, le peintre de thèmes principalement mythologiques et religieux, et bien sûr l’écrivain et dramaturge, en lui faisant raconter à la première personne, son autobiographie fictive et son histoire d’amour avec Lotti, repère essentiel de son existence. En outre, sa sœur Verena, et ses deux enfants, Ruth et Peter, témoignent simplement, partagent des éléments personnels, mais évitent toute hagiographie en corrigeant parfois tel souvenir enjolivé ou édulcoré par leur père.

Si l’écrivain, qui n’hésitait pas à poser un regard très critique sur son propre pays, était hors norme, l’homme l’était aussi. Par sa capacité de travail et son appétit, Dürrenmatt dépassait toute mesure, mot clef en Helvétie, ce qui lui valut bien des incompréhensions. Si ses derniers écrits (La mise en œuvre et L’édification) explicitent le métier d’écrivain, il est intéressant de noter que ce fils  et père de pasteur aborda sous bien des angles les thèmes de la vérité et de la justice, qui lui permirent de développer ses réflexions à propos du hasard de son rôle. A cet égard, les cinéphiles se souviennent de  la solide adaptation cinématographique de son roman La Promesse  réalisée par Sean Penn, avec Jack Nicholson dans le rôle du détective retraité, déterminé à aider un collègue dans une sordide affaire de meurtre d’enfant. Hélas le documentaire n’emprunte pas la piste thématique et s’en tient au récit biographique. Il se clôt ainsi sur une dernière séquence où Ruth Dürrenmatt lit le récit de la mort de Lotti rédigé par son père. Tout à la fois intimes et distantes, ces lignes en disent long sur un auteur essentiel du XXe siècle, à lire et relire.