Maîtres de l'univers

Ce n’est pas un film d’action... et pourtant on se laisse rapidement prendre par le sujet. En 1986, l’Allemand Rainer Voss commençait une de ces carrières fulgurantes typiques des milieux bancaires. Très vite, l’engrenage s’est imposé.
Le principe est toujours le même; il faut travailler intensément, parfois deux nuits d’affilée si l’on veut occuper des postes toujours plus élevés. On brasse alors des millions, on gagne des fortunes. Sa vie se déroule hors de la réalité, tout est fait pour cela, soirées d’entreprises, vacances, crèches pour les enfants. Mais surtout, on est empêché de douter, d’avoir des idées qui ne se développeraient pas en parfaite loyauté avec son entreprise. On devient complètement conditionné. Ainsi se multiplient les «produits» qui frisent l'illégalité voire y sombrent carrément… presque innocemment…
Rainer Voss était devenu l’un des grands banquiers d’investissement. Et puis, ayant atteint la cinquantaine, il a été jugé trop âgé… Aujourd’hui retiré des affaires, il explique face à la caméra comment fonctionne l’industrie financière, son absolue indifférence à ce qui ne concerne pas le profit.
La complexité du sujet est dénouée par les explications simples et imagées du banquier, son humour, ses anecdotes, ses comparaisons, ses incursions dans sa vie sociale, sa vie privée. Marc Bauder le filme dans la salle des marchés d’une banque de Francfort,  fermée depuis plus de 7 ans, et dont le bâtiment est toujours inutilisé. Par les larges baies vitrées, on voit les architectures superbes du quartier des affaires de Francfort, tours de verre stérilisées, arrogantes, totalement étanches. Ces édifices sont à l’image de ce que dit le banquier: il y a bien trop de ramifications dans le système financier pour qu’on réussisse à le rendre transparent.
Le témoignage de Rainer Voss fait peur par ce qu’il révèle de cynisme d’un côté, d’impuissance de l’autre. On sait combien la finance s’est distancée de l’économie réelle et quels dangers elle fait courir à la planète. Mais qui fait quoi pour que cela change? Aussi, même si l’on préfère l’industrie du cinéma, même si l’on a besoin de divertissement, il faut voir ce film qui montre sur quel socle est bâtie la société contemporaine. En 2008, la crise dite des subprimes a lancé l’alerte. Pourtant Rainer Voss n’est guère optimiste pour la suite…
Si dans Cleveland contre Wall Street (2010) Jean-Stéphane Bron imaginait une ville portant plainte contre la finance, si Le loup de Wall Street (2013) de Martin Scorsese en dressait le portrait fictif,  Les maîtres de l'univers en révèle la réalité crue. Effarant.