Une vie meilleure est ailleurs

Il y a un point commun entre ces trois personnages, la tristesse et le désir de fuite. Après la guerre, Enver s’est installé dans les environs de Sarajevo. Il y vit seul, sans argent, avec ses moutons et des rêves fanés. Emilio est médecin à Cuba mais a été déclassé pour avoir prononcé des propos subversifs aux yeux du régime; il étouffe dans son taudis et ne voit pas comment il pourrait en sortir. Près de Zurich, Andrea travaille dans un hôpital et nourrit l’espoir de s’en aller un jour, comme le faisait régulièrement son père.

En 2002, le réalisateur a terminé son premier film de fiction – OLTRE IL CONFINE – à Sarajevo, avant de partir pour Cuba où il devait enseigner à l’École de cinéma. Là-bas, puis en Suisse, il a parlé avec de nombreuses personnes, les a revues, les a filmées tandis qu’elles évoquaient leurs espoirs. Cela a duré neuf ans. Des quelque 200 heures de pellicule sont restés Enver, Emilio et Andrea, avec les bouleversements qui ont modifié leur existence. «Au départ, je pensais que le thème du film serait les rêves et ce qu’il advient d’eux, mais le film s’est développé dans une autre direction: son centre s’est axé sur la question existentielle de savoir ce qui détermine nos vies. Nous-mêmes? Les autres? Le hasard? Le destin?» Un peu de tout cela, semble répondre l’existence des trois protagonistes. D’Enver qui a connu la guerre, d’Emilio qui subit une dictature, on pourrait penser que le contexte politique les a déchirés. Ce n’est pas si simple, et eux-mêmes s’interrogent sur leurs choix. De toute façon, que dire d’Andrea, la Suissesse, et de son besoin de partir? Dès lors, il est clair que Rolando Colla renvoie la question aux spectateurs. Peu des interrogations qui occupent les trois personnages diffèrent de celles que peut se poser chaque individu un jour où l’autre: le sens de la vie, les buts qu’on se donne, le mal-être qui fait miroiter un ailleurs plus facile… Rolando Colla filme avec empathie Enver, Emilio et Andrea. Leur sincérité touche, leur connaissance d’eux-mêmes et l’intensité de leurs introspections accrochent l’oreille et le cœur. Les images qui illustrent le récit de leur vie sont belles parce qu’elles sont vraies.