Albert Nobbs

Difficile de se détacher du visage pathétique et blafard d’Albert Nobbs, de ses grands yeux gris toujours aux aguets, dans lesquels glissent des ombres: Glenn Close a réussi le tour de force de se fondre dans le personnage effacé du majordome imaginé au XIXe siècle par l’auteur irlandais George Moore, de devenir cette petite silhouette fragile et stoïque qui ne plie jamais, même quand elle s’incline devant les autres pour les servir. Son personnage l’habite totalement. Il faut dire que l’actrice américaine entretient un lien particulièrement fort avec Albert Nobbs depuis presque trente ans: en 1982, elle l’a incarné au théâtre. Elle n’a eu de cesse de se passionner pour cette femme qui, pour survivre dans l’Irlande misérable du XIXe siècle voyant partir en masse des émigrants vers l’Amérique, se travestit en homme pour trouver un emploi.

Enfant illégitime élevée par une nourrice qui ne lui a jamais révélé le nom de sa mère, elle commence à travailler à 14 ans dans un hôtel chic de Dublin sous le nom d’Albert Nobbs. Elle y passe toute sa vie comme majordome, effaçant quasiment sa propre identité. Elle vit misérablement, se prive de tout pour économiser des sous et réaliser son rêve, acheter un magasin de tabac pour assurer ses vieux jours et ne pas finir à l’hospice. Elle observe tout de ses grands yeux délavés, comme coupée de ses émotions à force d’avoir dû travestir ses comportements. Un sentiment de peur plane parmi les employés de l’hôtel qui redoutent de perdre leur place et de se retrouver à la rue.

D’une sobriété extrême, le film est parfois traversé de traits d’humour, ce qui rend plus poignante encore la réalité de ces êtres harcelés par la misère.