We need to talk about Kevin

Affiche We need to talk about Kevin
Réalisé par Lynne Ramsay
Pays de production Grande-Bretagne, U.S.A.
Année 2011
Durée
Musique Jonny Greenwood
Genre Drame, Thriller
Distributeur Diaphana Distribution
Acteurs Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller, Jasper Newell, Rock Duer
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 637
Bande annonce (Allociné)

Critique

Produit par sa principale interprète, ce film inspiré d’un roman de Lionel Shriver évoque un drame familial tissé de haine et d’amour incompris. Eva (extraordinaire Tilda Swinton, qui aurait amplement mérité le Prix d’interprétation féminine) en proie du chaos - et du K.O.!) et son mari Franklin (non moins excellent John C. Reilly) ont un train de vie plus que confortable, mais la naissance de Kevin met en veilleuse les ambitions professionnelles de la jeune femme. Le bébé se sent-il mal accueilli? Toujours est-il qu’il n’arrête pas de pleurer - au point que le bruit d’un marteau-piqueur semble plus doux aux oreilles maternelles -, sauf quand son père le prend dans ses bras. Plus les années passent, plus les relations entre la mère et le fils (remarquable Ezra Miller) se compliquent, et la naissance dix ans plus tard d’une petite sœur n’arrange rien. Jusqu’au jour où se produit un bain de sang. La mère est-elle responsable du contexte du drame (Kevin affirme que c’est lui le contexte)? Le fils est-il manipulateur voire névrotique?

Rien n’est laissé au hasard dans cet opéra tragique qui peut passer aussi bien pour un thriller d’horreur qu’une méditation sur l’amour familial: travail sur l’image et la couleur, choix des chansons, maquillage... On se sent face à un monde sans Dieu, où Halloween est plus festif qu’un Noël totalement sécularisé, où l’on souhaite bonne nuit à une petite fille meurtrie dans une petite prière du soir, où une femme rongée par la culpabilité se croit vouée à l’enfer. La dernière image suggère une sortie du tunnel, mais «le contexte» permet-il cet espoir?

Note: 17



Daniel Grivel





Avoir un enfant, pourquoi et comment? Ce film dur, puissant, abouti, pose jusqu’à l’extrême la délicate question des relations familiales.

Désir d’enfant, amour maternel, responsabilité, culpabilité… Tous ces thèmes s’incrustent dans la famille. C’est le sujet du livre de l’Américaine Lionel Shriver (Belfond, 2006). Lynne Ramsay, réalisatrice écossaise, s’en inspire («et guère plus»), pour son troisième long métrage. Parce que, explique-t-elle sur le site cineuropa.org, «les familles sont très compliquées, c’est cela qui m’a plu dans le roman. J’ai moi-même un enfant et je me suis posé toutes ces questions.»

Eva (Tilda Swinton) et Franklin (John C. Reilly) vont avoir un enfant. Ils sont riches, Kevin naît dans un berceau doré. Pourtant, encore nourrisson, il se met à hurler à tout propos, usant sa mère qui a abandonné son travail pour s’occuper de lui. En grandissant, Kevin se montre cruel et résiste de plus en plus fortement à Eva, alors qu’il semble heureux dans les bras de Franklin. Il a 10 ans lorsque naît sa petite sœur, ce qui n’arrange rien. La mère et le fils semblent irréconciliables. A 16 ans, Kevin (Ezra Miller) va jusqu’au bout de son besoin de provocation et commet l’irréparable.

Disons d’emblée que les trois acteurs sont formidables. Disons d’emblée aussi que, sur le plan cinématographique, le film est une réussite, tant par son montage ajusté au centimètre près que par son esthétique peaufinée, elle aussi, de manière à coller à l’histoire. Comme cette couleur rouge, le rouge de la violence, qui poursuit la mère tout au long de son drame.

Le point de vue est celui d’Eva. Son présent est entrecoupé par les terribles moments de son passé qu’elle revoit constamment. Tandis que le passé évolue vers le pire, le présent avance lentement vers la rédemption qui ne s’ouvrira qu’au dernier moment. D’ici là, Eva ne cesse de s’interroger: comment a-t-elle pu mettre au monde un enfant aussi monstrueux? Qu’a-t-elle fait de faux? Est-ce vraiment sa faute?

Sans doute pas. Mais tout de même oui. La réponse est forcément complexe, et Lynne Ramsay s’emploie à le rappeler. Le désir d’enfant, mais quel désir, pour qui, pour quoi? On comprend que ce n’était pas le besoin profond d’Eva. Pourtant, elle met toutes les chances de son côté, restant à la maison pour le bébé qui souffre déjà d’un sentiment de rejet. Et puis, il y a ce nid doré; l’enfant est gâté, mais seul dans une immense maison vide. Son père ne comprend pas que sa femme ait tant de mal avec son fils… Et que dire du fils lui-même? Si erroné que pourrait être le comportement de ses parents, cela peut-il expliquer pareille névrose?

Tandis qu’Eva revoit le drame sans parvenir à se l’expliquer, le spectateur le voit se préparer sans pouvoir intervenir. Les acteurs excellent à enfoncer leur personnage chacun dans sa vérité, inéluctable. Les relations familiales sont compliquées, certes. C’est la violence, ici, qui le rappelle en mettant le doigt sur des bases peut-être faussées. Celles, au moins, sur lesquelles s’enracinent l’envie d’avoir un enfant.

Œuvre sèche, magistrale, terrifiante, ce film questionne dans tous les sens et ne donne pas de réponse: il n’y en a pas vraiment. Cependant, il incite à s’interroger profondément, comme Eva, sur ce qu’on est et ce qu’on veut, au moment d’appeler vers soi un nouvel être. Car s’il y a rédemption dans WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN, elle arrive trop tard pour éviter le pire.

Note: 18



Geneviève Praplan

Ancien membre