Critique
Aaron exerce le métier de boucher. Membre de la communauté juive ultraorthodoxe de Jérusalem, il est l’époux de Rivka et père de quatre enfants. Un jour, il engage dans son magasin le jeune Ezri, étudiant en théologie de 22 ans, dont il tombe bientôt amoureux. Emporté par sa passion, il en vient à négliger sa famille. Culpabilité, tourments et pressions extérieures exercées par la communauté vont vite le rattraper…
Le cinéaste israélien donne l’impression qu’il a voulu aborder un sujet tabou. Le film a un côté «militant» qui dérange, d’où l’évocation d’événements et de conflits que l’on peut dès lors pressentir. D’où aussi un certain ennui. Reste une description intéressante d’une communauté israélienne orthodoxe placée devant le problème de l’homosexualité, et qui réagira en s’efforçant d’exclure les deux hommes: Ezri s’en ira, Aaron aurait souhaité rester dans le cercle religieux qui était le sien, mais le prix à payer sera trop élevé.
EYES WIDE OPEN - intelligemment mis en scène et bien joué - appartient à ce type de films qui cherchent à soulever certains problèmes, voire à créer la polémique. Comment un tel long métrage sera-t-il accueilli en Israël, et tout particulièrement par les milieux ultraconservateurs?
Antoine Rochat
Le titre français annonce la couleur de ce drame tourné dans les bleu, vert, gris, noir et blanc, couleurs et lumières nimbées de tristesses contenues, de douleurs et déchirements, de violences sourdes ou exacerbées, de conflits intérieurs qui fouaillent tant les individus qu’une communauté fonctionnant comme un corps.
L’histoire peut sembler banale et universelle: dans un milieu juif ultra-orthodoxe de Jérusalem, Aaron (Zohar Strauss) vit une existence de croyant convaincu et engagé. Il aime sa femme Rivka (Ravit Rozen, alias Tinkerbell) et ses enfants et exerce son métier de boucher avec conscience et professionnalisme. Tous l’apprécient. Cette vie tranquille est bouleversée le jour où il rencontre un jeune et bel étudiant, Ezri (Ran Danker), dont il tombe amoureux. S’en suivent la pression de la communauté, les déchirements, les choix impossibles, l’exclusion, la culpabilité…
Le jeune réalisateur israélien, dont c’est le premier long métrage, nous met dans la situation d’observateurs, yeux grands ouverts (EYES WIDE OPEN) sur ce mini-cataclysme dans la vie d’un homme, d’une famille, d’une communauté. Comment vont-ils s’en sortir? Quel est le seuil de tolérance d’une communauté religieuse ultra-orthodoxe? Quelle est la possibilité d’existence individuelle dans ce cadre strict? Jusqu’où est-il possible d’aller dans la transgression? Quels sont les mécanismes et le prix des procédures de réintégration, voire de pardon? Etc.
Ce film sur l’interdit et la transgression (ici l’homosexualité) est bien sûr dérangeant, voire pesant. Mais aussi prenant et fort avec cette méditation sur la solitude terrible de personnages pourtant toujours sous surveillance et dans l’impossibilité d’être véritablement seuls: EYES WIDE OPEN, l’œil était dans la boucherie et regardait Aaron!...
Selon le réalisateur: «… dans le monde orthodoxe, il faut savoir que l’homosexualité n’existe pas. Elle n’est pas reconnue comme étant une possibilité (…), cela ne fait pas partie de l’essence de l’homme tel que le judaïsme le conçoit. Il n’y a pas de discussion possible, pas de place pour ce type d’orientation sexuelle.»
Mais le propos de Tabakman vise également à nous faire connaître et comprendre le fonctionnement de cette société close au cadre rigide mais également solidaire et attentive envers celui qui est malade, sans ressource et dans le désarroi.
A partir de ce contexte très particulier, cette histoire a une portée universelle car cela peut se passer tout près de chez nous.
Anne-Béatrice Schwab
Ancien membre
