Critique
Pas de nostalgie, mais de la joie de vivre dans ce beau cadeau offert par Agnès Varda: sa biographie.
«C’est une drôle d’idée que de se mettre en scène et de filmer un autoportrait quand on a presque 80 ans. Cette idée a germé dans ma tête un jour, sur la plage de Noirmoutier, quand j’ai réalisé que d’autres plages ont marqué ma vie.» Les plages sont devenues le fil rouge de cette biographie poétique, plages de son enfance, de son adolescence, de sa vie avec Jacques Demy, plages du nord et plages du sud…
L’histoire est toute simple, celle d’une femme qui aborde la vieillesse avec un grand sourire et une passion sans fissure. Ses souvenirs nourrissent son présent et son futur, les nouveaux projets ne cessent de surgir. Comme ce documentaire, récompensé par le César 2009 du Meilleur documentaire.
Tout commence par des miroirs, posés sur le sable ou tenus par des amis. L’image renvoie à soi-même et à son passé. Agnès Varda remonte le temps. Elle retrouve ses adresses, frappe aux portes, rencontre ceux qui ont pris possession des lieux qui furent les siens. Une enfance à Bruxelles, un déménagement à Sète au moment de la Seconde Guerre mondiale et la vie sur un bateau amarré, avec un pont qui le reliait à la ville… Quel symbole, déjà, pour cette enfant qui deviendra artiste et sera toujours prête à prendre le départ!
Photographe, scénariste, documentariste, cinéaste, vidéaste, Agnès Varda est une artiste complète et son documentaire lui rend hommage malgré elle. Car pour feuilleter sa vie, elle utilise une fois de plus sa verve et son talent; il serait bien difficile de ne pas se laisser convaincre par eux. A commencer par le regard doucement ironique sur elle-même. La voici au seuil de ses 80 ans, qui seront franchis, au moment de conclure le film, sous une haie d’honneur hérissée de balais en tout genre, 80 exactement.
La farce, certes, mais les arguments créatifs, surtout, au service d’un discours tout en douceur, sur les causes qui lui sont chères: celle des femmes, celle des humbles, celle des Justes sous l’Occupation. Le regard conserve sa distance, ne s’englue pas dans le mélodrame. Le film est un collage délicat de morceaux d’existence, repeints à la façon Varda et selon les hasards de la mémoire. Pas de chronologie, donc, mais une chasse aux papillons avec des alliances de mots et d’images qui font de la littérature avec les images, du cinéma avec les mots.
Le cadre, élément essentiel du cinéma, est utilisé, joué, provoqué. Ainsi ces miroirs au bord de la mer, qui renvoient davantage à la pérennité du paysage qu’à la nostalgie. Car à relire ainsi le passé, Agnès Varda n’est pas dupe, «ce n’est qu’un jeu», avoue-t-elle, tandis qu’on la sent en constante curiosité pour le présent. S’il y avait nostalgie, peut-être serait-elle du côté des chers disparus, dont son mari Jacques Demy. Encore que la cinéaste ne s’apitoie pas sur ce pan de sa vie non plus. Elle préfère construire sur ce formidable terreau qu’ont été ses relations, tant sur le plan intime que sur celui de la création.
LES PLAGES D’AGNES donne à Varda le bonheur de reconstituer un puzzle avec une sincérité désarmante; «ce puzzle me plaît», dit-elle, presque sans se demander s’il intéressera plus loin, tant elle est heureuse avec sa vie, heureuse avec son présent. Cela dit, de l’autre côté du film, dans les salles de cinéma, son bonheur de vivre et de créer fait un bien fou.
Geneviève Praplan