Réalisé par | Pavel Lounguine |
Pays de production | Russie |
Année | 2006 |
Durée | |
Musique | Vladimir Martynov |
Genre | Drame |
Distributeur | Rezo Films |
Acteurs | Piotr Mamonov, Viktor Soukhoroukov, Dimitri Dioujev, Iouri Kouznetsov, Viktoria Issakova |
N° cinéfeuilles | 561 |
Dans un décor de neige et de taïga, sans le moindre effet de style, le réalisateur russe consacre au remords une œuvre mystique, singulière et émouvante.
Pardon, rédemption, sainteté… Quelle est la place de ces notions dans la société contemporaine? Mince, très mince, sans doute. Tant d’autres soucis agitent la fourmilière occidentale. Si bien qu’au premier abord, peut-être ressent-on un sentiment de recul à l’idée de passer près de deux heures face à elles. Pourtant, même si une communauté de moines n’offre guère de place à l’amusement, le sujet du film touche à de tels bouleversements de l’âme qu’il est difficile d’échapper à la force du propos. «Le scénario, écrit par Dmitri Sobolev, est arrivé jusqu’à moi par hasard, raconte Pavel Lounguine, et il a changé toute ma vie.»
En 1942, au nord de la Russie, sur une péniche qui transporte du charbon, un soldat russe (Piotr Mamonov) est contraint par les nazis de tuer son lieutenant pour avoir la vie sauve. Il s’y résout. Peu après, le bateau explose, mais le matelot ne meurt pas. Il est recueilli par les moines qui vivent sur une île voisine, dans un monastère isolé. On le retrouve des années plus tard, asséché par le remords, pénitent infatigable. Dévoué à la chaufferie, il n’accepte de vivre que sur le charbon et consacre tout son temps libre à supplier Dieu de lui pardonner. Malgré lui, sa sainteté a dépassé les limites de l’île et la population vient lui demander conseil.
C’est un sujet aride, bourré de pièges, que le premier réalisateur venu transformerait en une galéjade kitsch dans le style de L’Arche de Noé. Mais Pavel Lounguine est un artiste, il s’intéresse à la condition humaine. Russe, né en 1949, il s’est fait connaître en Occident en 1990 avec Taxi Blues. Luna Park en 1992, La noce en 2000, ont été des réussites qui racontaient la misère existentielle de ses compatriotes, après la désintégration de l’URSS. Entre-temps, plusieurs films de moindre importance ont vu le jour.
Et voici qu’arrive L’île, pour lequel le réalisateur change totalement de registre. Pourquoi? «Je ne le sais vraiment pas. Le film parle de l’existence de Dieu. Il arrive un moment dans la vie où cela devient une question primordiale. (…) J’ai le sentiment que notre société ressent le besoin de méditer sur des problématiques telles que l’éternité, le péché et la conscience. Dans la course effrénée pour l’argent et le succès, nous avons oublié ces valeurs. Mais l’être humain ne peut se contenter de vivre pour le matérialisme. J’ai essayé de trouver un juste équilibre entre nos valeurs et nos désirs.»
Après la séquence hallucinante du début, où, en deux couleurs et quelques plans, Lounguine rappelle l’horreur nazie, la narration s’installe dans un décor austère: l’hiver interminable de la taïga. La recherche formelle de cette œuvre est fondamentale, dépouillée, maîtrisée dans chaque détail. C’est une esthétique habitée, parce qu’elle ramène constamment à ce que la caméra veut montrer: la contrition du moine, son incessante prière. Elle en est le symbole.
Et c’est par le chemin de ce remords profond, intarissable, dans un univers vide de tout diversion que, paradoxalement, Lounguine rejoint l’Occidental futile et irresponsable. A chaque demande de conseil ou de guérison, le moine ramène le quémandeur à sa réalité de matérialiste, plus riche que chameau quand il s’agit de passer à travers le chas de l’aiguille. Faut-il donc une souffrance intense pour retrouver son essence humaine, celle de l’esprit, de l’amour, de la paix? Le cinéaste russe semble prêt à y croire.
Geneviève Praplan