Cantique pour Argyris

Affiche Cantique pour Argyris
Réalisé par Stefan Haupt
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 547

Critique

"Stefan Haupt s'est fait connaître en 2001 avec UTOPIA BLUES (Prix du cinéma suisse), histoire d'un adolescent peinant à devenir adulte. Un film qui sonnait juste mais qui, probablement parce qu'il dérangeait, n'avait pas connu un grand succès public, surtout en Suisse romande. Avec CANTIQUE POUR ARGYRIS, Stefan Haupt retourne au documentaire et s'attache à la vie d'un homme dont la trajectoire existentielle est absolument hors du commun.

Qu'on en juge. En juin 1944, Argyris Sfountouris a 4 ans. Il survit miraculeusement au massacre perpétré par les forces occupantes allemandes dans son village de Distomo, près de Delphes. Il perd ses parents et plusieurs dizaines de membres de sa famille. Recueilli par une tante, puis placé dans un orphelinat, il est pris en charge par la Croix-Rouge qui l'emmène en Suisse. Il passe son enfance dans le village Pestalozzi de Trogen avant de faire de brillantes études à l'EPFZ. Il enseignera par la suite la physique dans plusieurs établissements scolaires, tout en s'opposant énergiquement - en démocrate convaincu qu'il est - au régime des colonels grecs de son pays, ce qui lui vaudra une interdiction de séjour dans son pays natal et un exil prolongé en Suisse jusqu'au jour où il obtiendra la nationalité helvétique. Il sera aussi, pendant quatre ans, responsable du Corps suisse d'intervention en cas de catastrophe.

Personnage hors normes, Argyris Sfountouris manifeste tout au long du film une sérénité empreinte de mélancolie. Durant toute sa vie - et encore aujourd'hui -, il a lutté pour éviter que des horreurs comme celles qu'il a vécues ne soient oubliées. A l'aide de photos, de bandes d'actualités de l'époque, de témoignages (dont celui du musicien Mikis Theodorakis, grâce auquel Argyris a pu réunir de nombreux renseignements sur le massacre de Distomo, et qui, lui aussi, a pris position contre la junte militaire), à l'aide d'interviews de plusieurs survivants et de documents judicieux qu'il insère intelligemment dans son film, Stefan Haupt rend hommage à la résistance d'un homme. Un combat contre l'oubli, une lutte de tous les instants qui l'a amené, avec d'autres, à organiser des conférences sur le thème de la réconciliation, à déposer aussi une plainte contre le pays responsable de ces massacres, sans obtenir de vraie réponse.

""Je suis rempli d'un chagrin existentiel, dit-il, et je conserve un doute. Qu'est-ce qui fera que cela ne se reproduira pas et n'arrivera pas aux autres?"" répète-t-il à plusieurs reprises, tout en se demandant ce qu'il a pu faire lui-même en ce sens.

Stefan Haupt a su trouver la bonne distance entre le ton du récit, volontairement distancié, et une émotion juste, constamment présente, mais toujours retenue. Plusieurs questions restent bien évidemment posées. Comment envisager de dépasser l'horreur de tels événements, comment pourrait-on y parvenir, est-il possible de pardonner un jour, sous quelle forme, et quel sens donner à ce pardon?"

Antoine Rochat