Critique
"Les plus âgés parmi nous se souviennent des ""cheunes filles"", autrement dit de ces jeunes Alémaniques qui, se pliant à une tradition alors bien établie, franchissaient la Sarine pour accomplir leur Welschlandjahr - une année comme bonne à tout faire dans une famille romande, afin de s'initier à notre langue.
Cette tradition a évolué vers la formule de la jeune fille dite au pair, pour tomber progressivement en douves, depuis qu'Alémaniques et Romands communiquent de préférence en anglais...
Christoph Schaub, né en 1958 à Zurich et nanti d'une filmographie bien pourvue (longs métrages; documentaires; STERNENBERG, film suisse qui a fait le plus d'entrées en 2004, et qui a raflé plusieurs prix importants), s'attaque ici à un sujet qui pouvait être délicat: le passage d'un jeune homme de l'adolescence à l'âge adulte, le ""rideau de rösti"", les fantasmes que peut susciter un ""étranger"" (que l'on pense aux ""cheunes filles"" et à leurs soupirants boutonneux!...) Il se livre à une approche tout en finesse, au risque parfois d'être un peu trop lisse, et sait faire alterner sourire et émotion.
Sebastian (Matthias Schoch, excellent dans son premier rôle) va avoir 18 ans et se réjouit de profiter de la liberté liée à sa majorité. Mais son père, imprimeur zurichois un peu rugueux, ne l'entend pas de cette oreille: le fils est destiné à reprendre l'entreprise familiale. Aussi, afin d'échapper à cette voie toute tracée, Sebastian prend l'initiative et, le jour de son anniversaire, annonce à ses parents médusés qu'il va passer un an à Genève comme garçon au pair - ""cheune homme"" qui fera le ménage et gardera les enfants pour améliorer son français. Il ne trouve de soutient qu'auprès de sa sœur, qui admire son esprit d'indépendance.
La famille d'accueil vit dans la banlieue genevoise chic, habitant une villa ultramoderne équipée à l'avenant, mais un peu froide (on pense à celle de MON ONCLE, de Tati). Il y a du tirage entre les parents Dumoulin, Madeleine (Alexandra Vandernoot) et Hugues (Didier Flamand); les enfants, en stabulation plus ou moins libre, sont difficiles à contrôler. Cela fait beaucoup de fers au feu de Sebastian, sans compter la belle voisine esseulée qui rêve de déniaiser le jeune homme, tenté, lui, de démissionner, n'étaient le bébé Mahaut (""joué"" par deux bouts de chou de dix mois déjà doués...) et Elodie, étudiante en beaux-arts pour laquelle il a le béguin. Slalomant avec adresse entre les obstacles, Sebastian fera bien plus que de perfectionner sa connaissance de la langue française.
Christoph Schaub est dans la cible, avec un film gentil (au meilleur sens du terme) et plaisant. On appréciera la musique de Michael von der Heyde, ténor de la chanson alémanique qui fut lui aussi jeune homme au pair..."
Daniel Grivel
