Pour un seul de mes deux yeux

Affiche Pour un seul de mes deux yeux
Réalisé par Avi Mograbi
Pays de production France, Israël
Année 2004
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Les Films du Losange
Acteurs Avi Mograbi
N° cinéfeuilles 504
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Le cinéaste israélien Avi Mograbi part de deux mythes fondateurs d'Israël: le récit d'un suicide collectif de Juifs voulant échapper au joug romain, à Massada, en 72 de notre ère, et la légende de Samson, héros national, qui emporta les Philistins dans sa mort. Deux récits qui enseignent aux jeunes générations israéliennes d'aujourd'hui que la mort est préférable à la domination.

Avi Mograbi réexamine à la fois la véritable signification de ces récits en la confrontant avec la situation actuelle, montrant les Palestiniens subissant quotidiennement les vexations de l'armée israélienne (des paysans sont empêchés de labourer leurs champs, une femme ne peut rentrer chez elle), juxtaposant des scènes de visites touristiques sur le site de Massada (s'accompagnant des commentaires officiels des guides), filmant ce qui se passe aux checkpoints (où des enfants sont bloqués pendant des heures au retour de l'école), s'adressant enfin directement aux soldats pour qu'ils justifient un tel comportement.

Avec ce film Avi Mograbi lance un avertissement très clair à son propre pays: comme hier les Juifs face aux Romains, ou Samson face aux Philistins, la population palestinienne crie aujourd'hui son désespoir. Ponctué par plusieurs conversations entre le réalisateur et un de ses amis palestiniens découragé par la situation politique, POUR UN SEUL DE MES DEUX YEUX est un véritable cri d'indignation, un film qui ressemble fort à un brûlot politique. Un documentaire surprenant, très intéressant - présenté hors concours!





Présenté il y a une année à Cannes, le documentaire du cinéaste israélien Avi Mograbi arrive sur nos écrans au moment où le Hamas a constitué un nouveau gouvernement et où Ehoud Olmert définit la position d'Israël. C'est dire que ce film garde toute son actualité.

Avi Mograbi part de deux mythes empruntés à la tradition hébraïque. Tout d'abord le récit du suicide collectif de Juifs qui décidèrent, en 72 de notre ère (retranchés dans la forteresse de Massada, au bord de la mer Morte), d'échapper au joug des Romains en se donnant la mort. Ensuite la légende de Samson, le héros national qui emporta les Philistins dans sa propre mort. Deux histoires qui enseignent aux jeunes générations israéliennes d'aujourd'hui que le sacrifice de soi peut être préférable à la soumission à autrui.

Avi Mograbi réexamine à la fois la véritable signification de ces récits en les confrontant avec la situation actuelle. Il montre ainsi des Palestiniens subissant quotidiennement les vexations de l'armée israélienne (des paysans sont empêchés de labourer leurs champs, une femme ne peut se rendre chez sa fille, une ambulance est stoppée sans raison). Il juxtapose des scènes de visites touristiques sur le site de Massada et enregistre dans ce lieu emblématique de l'histoire sioniste les leçons données par un guide (un vrai lavage de cerveau!) à des étudiants juifs britanniques de passage. Il filme encore ce qui se passe aux check points (des enfants sont bloqués pendant des heures au retour de l'école, l'ouverture des passages dépendant du bon vouloir des soldats) et il lui arrive de s'adresser souvent directement aux soldats israéliens, exigeant d'eux qu'ils justifient leur comportement.

Le film renvoie donc à une actualité immédiate: hier les Juifs exprimaient leur désespoir face aux Romains, jadis Samson faisait de même en entraînant les Philistins dans sa propre mort, aujourd'hui la population palestinienne crie son impuissance. Or, demande le cinéaste, qu'a fait alors Samson, si ce n'est exactement ce que font aujourd'hui les auteurs des attentats-suicides? Et si ce personnage biblique est un héros, comment se fait-il que ceux-là soient considérés comme des criminels de guerre? Avi Mograbi montre aussi les excès de certains activistes de droite de son pays: ""Je chante pour me venger de la Palestine, pour venger un seul de mes deux yeux..."", crie un leader extrémiste.

Ponctué régulièrement par les entretiens téléphoniques que le réalisateur a avec un ami palestinien - très découragé de voir comment évolue la situation -, POUR UN SEUL DE MES DEUX YEUX est un pamphlet politique, non dépourvu d'ironie amère, en même temps qu'un cri d'indignation. Avi Mograbi est en colère, et il le dit. Son film, il l'a tourné essentiellement avec une petite caméra numérique, en trois mois, très librement, les soldats n'ayant aucun droit sur les civils israéliens dans les territoires occupés. Et le cinéaste n'omet pas de préciser que des fondations israéliennes pour le cinéma ont participé au financement du film, sans exercer la moindre censure.

Avi Mograbi continue de dire qu'il croit à l'importance et à la force du dialogue avec les Palestiniens assiégés, malgré l'omniprésence de l'armée. C'est là le message essentiel de son film, très engagé."

Antoine Rochat